Publications par Maryse Esterle

Caresses

Mercedes Raquel Enrique est une amie écrivaine et poétesse argentine, âgée de 47 ans. En octobre 2020, elle a contracté une forme sévère de Covid -19. Elle a été hospitalisée à Buenos Aires pendant trois semaines, placée en coma artificiel et intubée.
Son mari et sa fille aînée ont pu la voir pendant cette période. Mercedes n’était pas vraiment consciente mais elle a senti leur présence, qui fut un appui fondamental pour sortir saine et sauve de cette épreuve.
À sa sortie de l’hôpital, elle a écrit ce poème, intitulé Desolación, qu’elle m’autorise à publier sur ce blog avec sa traduction française, avec tous mes remerciements !

Vol d’oiseaux

Mairie des Lilas, début de l’été. Un attroupement dans le couloir du métro, un peu en retrait de l’escalier qui mène vers la rue : deux ados, l’un furieux, l’autre tétanisé, se font face, visages à dix centimètres l’un de l’autre. Tension des corps, violence à fleur de poing, lèvres crépitantes.

La robe de Lucie

Lucie, tu vas abîmer ta robe ! Dans le square de la porte des Lilas, cet avertissement maternel empêche Lucie, trois ans au compteur, de s’approcher du toboggan si tentant. Elle porte un manteau clair sur une robe bleue et visiblement, doute de la pertinence de l’enjeu : le risque d’abîmer sa robe vaut-il le sacrifice d’une glissade enivrante ou d’un balancement spasmodique sur le hibou monté sur son gros ressort ? Mais à trois ans, la marge de manœuvre est mince et elle n’en est pas encore aux grandes révoltes adolescentes.

Vaccins d’enfance

Les petites filles avancent en file vers l’infirmière. Elles ne sont pas rassurées car on leur a dit que la piqûre fait un peu mal, mais c’est pour leur bien. Ce n’est pas leur première expérience de vaccin, elles ont toutes reçu au moins le BCG, qui laisse une petite cicatrice en haut du bras.
Dans les années 50, les mémoires familiales gardaient (ou perdaient) le souvenir de petits fantômes qui ne grandiraient pas, emportés par la coqueluche, la rougeole ou la polio. D’autres souffraient de graves séquelles de cette maladie ou des oreillons. Nombreuses étaient les familles où manquait au moins un enfant à l’appel et dans mon école, nous échangions les mêmes histoires : le départ en voyage ou l’envol vers le ciel d’une sœur ou d’un frère, dans des circonstances obscures. Nous soupçonnions les adultes de ne pas tout nous dire.

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Les yeux de Colette

Au musée de Saint-Sauveur-en-Puisaye, le beau regard de Colette nous parle depuis la nuit de son temps, comme un passé qui nous questionne : qu’allez-vous faire de cette année qui commence ?
Parfois les mots nous manquent. Restent le regard, les images, les sourires, les saluts, les soupirs, les haussements d’épaule et puis les mots reviennent, précis, discrets, choisis.
Les mots auraient-ils manqué à Colette aussi, ou aurait-elle trouvé quoi dire aujourd’hui, elle qui traversa la grippe espagnole et deux guerres mondiales, mourut à l’orée de celle d’Algérie et passa la fin de sa vie immobilisée chez elle par l’arthrite et l’arthrose ?