Frisson d’océan

Biarritz en ce début d’automne, des chiens d’une propreté abyssale se promènent dans les rues, tout droit sortis du salon de toilettage, griffes manucurées, pelage brillant délicatement gonflé comme une coiffure de dame des années 50, des chiens qui n’ont jamais connu de flaque d’eau, de reniflage de derrière ou de sauts dans les tas de feuilles mortes. Il fait encore très doux, ils en profitent pour sortir leurs maîtres friands d’espadrilles de bon goût et de marinières portées dans le dos, les manches croisées sur la poitrine.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté, comme dit le poète.

Mais ne voient-ils pas, n’entendent-ils pas l‘océan, les chiens chics et leurs maîtres, depuis la rue Mazagran ou la place Sainte-Eugénie ?

Un peu plus loin, il se rue, furieux, sur la promenade de la Côte des Basques. Immense, horrifique et majestueux, il assiège la digue, écrase le béton de ses vagues rageuses avec des rugissements de dieu outragé.
Un escalier descend vers une rambarde, là où les rouleaux s’abattent en hautes gerbes d’eau, murs éphémères et menaçants. Personne n’y va, c’est trop risqué.
J’en ai envie pourtant, une fièvre me prend devant cette nature sauvage qui, inlassable, répète ses attaques d’écume blanche et noire contre le parapet et la rambarde en fer. Descendre une marche, une autre, s’approcher encore, un peu plus, jusqu’à toucher l’eau verticale et ses gouttelettes d’argent… Tu m’attires, océan !

Frisson du risque, m’aura, m’aura pas, plus près, plus près encore… Un pas de plus, un pas de moins, toute la différence est là, rester à distance, parier sur le destin ? Pile ou face du plaisir et de la mort. Pièce lancée en l’air, comment retombe-t-elle ? Sur la tranche ? Tu m’attires et je succombe ? Tu me plais mais je recule ?
Il y a quelques années, lors d’une tempête d’hiver, des promeneurs s’amusaient à braver les vagues qui se jetaient sur les rochers près du phare, une zone interdite au public ce jour-là. Une vidéo montre un grand jeune homme hilare en combinaison étanche qui court devant les vagues vers l’intérieur d’une grotte en criant de joie, repart, revient trempé, sautant d’excitation, imbibé d’adrénaline, invincible.

Quelques minutes plus tard, une énorme vague a emporté une jeune femme et un jeune homme (celui de la vidéo ?). L’homme a pu être sauvé mais le corps de la femme a été retrouvé quelques jours plus tard sur une plage des Landes.
Il ne faut pas défier l’ogre, il se réveille alors et réclame son dû. Ainsi devaient penser les Anciens qui offraient des vierges en sacrifice pour calmer la colère des dieux. Mais les dieux en demandaient toujours, jamais rassasiés.

Je recule un peu, remonte les marches. L’océan ne m’enlèvera pas aujourd’hui.
Mais il est là, grondant, implacable, attendant la prochaine faute, la seconde d’inattention, le rire inattentif au danger, la marche de trop descendue, la glissade sur le sol, pour rétablir l’ordonnancement du monde.

2 réponses
  1. Hervé Garnier dit :

    Merci pour ton partage Maryse.
    La nature est un cadeau merveilleux, et sa puissance, parfois très impressionnante, en particulier en mer, en montagne, lors de tempêtes, nous rappelle à quel point nous sommes petits.
    Un point perdu dans l’immensité.
    J’ai toujours aimé la visiter, y plonger.
    Elle nous apprend la modestie.
    Elle nous régénère et nous emplit
    d’énergie.
    Bonne nuit d’automne !

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