J’ai passé l’été à l’autre bout du monde. Chaque jour, j’ai marché au milieu de plantes luxuriantes enchevêtrées à perte de vue. Un ciel bleu souvent, gris parfois, lourd de la chaleur accumulée. Des trombes de pluie s’abattaient sans rafraîchir l’atmosphère. Les arbres dont on ne distinguait plus le tronc couvert de plantes invasives tendaient leurs bras feuillus vers le ciel d’orage. Quelques oiseaux volaient de branche en branche, noires énigmes.
Billets vie quotidienne
Pour célébrer le soleil enfin revenu, voici le temps des cerises, promesse de folies d’amour chantées dans la première strophe :
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur.
La fête des Mères approche.
Être mère, est-ce si naturel ?
Le Glaneur d’Oloron-Sainte-Marie, fin du XIXe siècle, rubrique « Extrait du registre de l’état civil » : naissances, mariages, décès. Aux enfants légitimes sont associés les noms des parents mariés et leur profession ou activité. Aux autres, la seule mention « Un enfant naturel », sans prénom ni filiation. Fils ou filles innommés de personne. Comme les enfants mort-nés.
Quelle famille n’avait pas son enfant naturel ? L’un d’eux se promenait dans la mémoire de la mienne, photo à la clé, avec toute une histoire autour : sa fille-mère serait partie en Argentine pour échapper aux médisances du quartier.
Lorsque ma grand-mère Generosa mourut à 64 ans, en 1947, sa fille aînée Marie-Thérèse, restée auprès d’elle, écrivit à ma mère. Elle raconte dans cette lettre émouvante la fin de ma grand-mère et conclut par ces mots :
« On ne sait pas ce qu’est la souffrance quand on ne connaît pas la perte d’un membre de sa famille et surtout d’une maman comme la nôtre. Quel dévouement infini et quel effacement ! Que de regrets pour nous ! Bises très affectueuses de nous tous ».
Cette expression : « Quel dévouement infini et quel effacement ! » m’a marquée lorsque j’ai lu cette lettre vers l’âge de dix ans. Ainsi, le dévouement infini et l’effacement étaient des qualités féminines dignes d’admiration pour ma tante et une bonne partie de la société qui l‘entourait ?
Fin d’après-midi de février, dans ma petite ville de banlieue. La nuit tombe, il pleut un peu et il fait froid (pas trop). Un peu trop chargée pour rentrer chez moi à pied, je cours vers le bus qui va m’en rapprocher.
La montée réglementaire par l’avant est trop difficile, le bus est bondé, c’est l’heure du bourrage des transports en commun. J’arrive à me hisser par la porte centrale, au milieu d’une mini-foule debout. Je vois de beaucoup trop près le grain de peau d’une jeune femme à ma droite et d’une autre à ma gauche. Une dame proteste contre le dos d’un grand jeune homme vêtu d’un blouson bleu à petits motifs blancs, la tête couverte d’une capuche, dos qu’elle juge trop près de son épaule à elle.
Cette photo prise de chez moi me fait penser à Mon amie la rose, chantée par Françoise Hardy et Natacha Atlas.
Une chanson mélancolique dont je retiendrai les derniers vers :
Croit celui qui peut croire
moi j’ai besoin d’espoir
sinon je ne suis rien
Ou bien si peu de chose
C´est mon amie la rose
Qui l´a dit hier matin
– Bonjour Madame, une tradition s’il vous plaît !
– Ce sera tout ?
– Oui, merci.
La baguette glisse dans mon sac. Sourires.
– Et pour vous, ce sera ? Demande la boulangère à la cliente suivante.
À la pharmacie. Je tiens à la main un tabouret pliant récemment acheté dans un bazar que nous appelions droguerie dans ma jeunesse.
Quand j’étais petite, dans les années 60, il y avait quatre saisons bien différentes, l’automne et ses feuilles mortes entraînées par le vent, l’hiver couvert de neige, le printemps et le réveil de la nature, l’été, sa chaleur et ses vacances.
Nous avions des vêtements de demi-saison, plus légers que les manteaux d’hiver mais laissés dans l’armoire quand les chaleurs d’été arrivaient. Tout cela formait un ordre immuable et rassurant, tangible comme le bonhomme de neige en décembre ou les parasols en juillet.
L’Oranger du Mexique doit son nom à sa provenance d’Amérique centrale, à ses fleurs blanches en grappe et à la senteur qui s’en dégage au printemps. Celui-ci a élu domicile dans mon jardin à côté d’une glycine, dans un enchevêtrement de lierre et de vigne.
J’étais déjà orpheline, me voilà sœur unique.
Mon frère Jean, professeur de mathématiques, aimait corriger des centaines de copies, parlait couramment le basque et se déguisait en Père Noël pour amuser Les enfants des lacs *.
Il eut de belles funérailles à Biarritz, le 12 mai 2023.
De ses articles de mathématiques publiés dans des revues savantes, j’appréciais le côté poétique de certains titres :
Le théorème taubérien de Wiener et l’équation de la chaleur.
ou leur allure franchement extra-terrestre :
Propriétés multiplicatives universelles de certains quotients d’algèbres de Fréchet.