J’étais déjà orpheline, me voilà sœur unique.
Mon frère Jean, professeur de mathématiques, aimait corriger des centaines de copies, parlait couramment le basque et se déguisait en Père Noël pour amuser Les enfants des lacs *.
Il eut de belles funérailles à Biarritz, le 12 mai 2023.
De ses articles de mathématiques publiés dans des revues savantes, j’appréciais le côté poétique de certains titres :
Le théorème taubérien de Wiener et l’équation de la chaleur.
ou leur allure franchement extra-terrestre :
Propriétés multiplicatives universelles de certains quotients d’algèbres de Fréchet.
Billets vie quotidienne
À la caisse du supermarché, une petite dame, 65 ans peut-être, cheveux gris en queue-de-cheval, place ses achats sur le tapis roulant de la caisse. Elle a posé tant bien que mal sa béquille à côté de ses courses. Elle la retire ensuite et met les produits dans son caddie : pâtes, riz, sucre, œufs, pain, quelques yaourts. Elle se penche à chaque fois pour les déposer et se redresse avec difficulté.
La photographe Ruth Orkin et Ninalee Allen approchent de la Piazza della Repubblica à Florence, en 1951. Des hommes font des commentaires au passage de Ninalee. Ruth lui propose alors de refaire le même chemin et demande aux hommes présents de rejouer la scène sans regarder l’objectif de son appareil. Cette photo est devenue célèbre longtemps après, comme un symbole de l’oppression des femmes par un regard masculin impérieux et dominateur. Ninalee explique cependant dans diverses interviews que cette scène était amusante pour les deux jeunes femmes. Elle ne se sentait pas en détresse mais plutôt adulée comme la Béatrice de Dante dans la Divine Comédie.
Décembre 2022, centre-ville. Je rentre chez moi, le caddie plein de courses. Les passants vaquent à leurs occupations. Matinée paisible dans une banlieue calme. Soudain, mon regard est attiré par l’enveloppe que tient dans sa main un homme d’une cinquantaine d’années. Une enveloppe à fenêtre, à travers laquelle on devine une liasse de billets dont le premier est de cinquante euros. L’enveloppe est pliée en deux et entourée d’un élastique.
Mon regard remonte jusqu’au visage de l’homme qui me dit :
– Je les ai trouvés par terre.
Mimique interloquée de ma part.
Certains matins, le ciel nous fait cadeau de sa beauté.
Lumière du soleil levant, nuages chatoyants. La banlieue se devine sur l’horizon rosé.
En cette année nouvelle, puissent vos souhaits se réaliser et vos rêves prendre forme !
La nuit tombe tôt en hiver, lourde et froide. Quelques personnes attendent le bus à la mairie de Montreuil. Le froid est piquant ce soir, il est près de 22 heures.
Une jeune femme attend sous l’abribus avec son bébé dans une poussette. Une écharpe noire cache son cou, ses oreilles et ses cheveux. Elle porte un grand pull trop fin pour la saison. Elle me fait penser aux ouvrières décrites par Roger Vaillant il y a un siècle dans son roman « Un jeune homme seul ». L’hiver, en guise de manteau, elles portaient « par-dessus leurs caracos, des châles de laine, de couleurs vives, en forme de rectangle allongé, terminés par des franges, qu’elles drapaient comme des écharpes sur leurs épaules ».
Un soir de novembre, ligne 1 du métro parisien. Pas trop de monde dans la rame, quelques personnes masquées. Soudain le métro s’arrête entre deux stations. Les lumières s’éteignent, relayées par l’éclairage de secours. Les passagers restent calmes, un peu interrogateurs. Personne ne parle. Une annonce au micro nous invite à ne pas tenter de descendre sur la voie, le métro va bientôt repartir. L’instant se prolonge.
Cahier de classe d’une petite fille qui me ressemble, année 1958-1959, CE1, classe de 10e. Exercices d’écriture, dictées, calcul, conjugaisons, vocabulaire et maximes de morale, écrites en tête de chaque journée. La plupart nous incitent à être de gentilles petites filles obéissantes, attentives et serviables : Je consolerai mes camarades qui ont du chagrin, j’aiderai les faibles, l‘élève assidu ne manque qu’avec de bons motifs. Quelquefois les maximes sont au masculin, car elles valent pour les garçons et les filles.
Une piste dans les Picos de Europa en Espagne, ainsi nommés car ils étaient les premières montagnes que les navigateurs apercevaient en atteignant l’Europe.
J’y suis venue en vacances avec un groupe d’une trentaine de randonneurs catalans. Depuis le refuge d’Ávila où nous avons passé deux nuits, nous descendons les huit kilomètres de piste vers la vallée. Je me sens en forme, la pente est douce. Nous croisons des vautours au repos, des chevaux, des vaches ocre et noires. PaisIble harmonie. À mi-chemin, nous prenons une joviale photo de groupe et continuons notre descente. Je marche seule mais j’entends derrière les voix des derniers de la file et devant, je vois trois femmes et un homme marchant à quelques dizaines de mètres.
Il fait chaud… Les pétales crémeux des fleurs de yucca penchent nonchalamment vers le sol. Plante méditerranéenne et de climat désertique, elle est promise à un bel avenir en climat tempéré, qui ne l’est plus tant que ça… Celle-là m’a fait un cadeau de velours satiné, dans mon jardin de banlieue.