« Grand-mère, grand-mère vous êtes morte cette nuit, grand-mère, grand-mère, vous êtes morte d’ennui. Dans votre intérieur modèle, entre vos nappes brodées, vos napperons de dentelle, vous avez capitulé. »
Comme dans cette chanson d’Anne Sylvestre, la plupart de nos grands-mères, ou plutôt des femmes qui nous ont précédés, furent sans doute des mamies confiture, à une époque où l’injonction première faite aux femmes était de se marier et d’avoir des enfants, renonçant la plupart du temps à une carrière professionnelle.
En cette période d’incertitudes, me revient en mémoire la chanson d’Anne Sylvestre, dont j’ai modifié quelques paroles :
J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J’aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté
J’aime leur petite chanson
Même s’ils restent dans leur cocon
La mort a préparé sa petite boutique,
On ne peut pas la rater
Drôlement bien éclairée
Elle a mis sa robe de fête
Ses napperons en dentelle de papier
Dessiné les oiseaux de Matisse
Découpé des crânes bleus et blancs
Sur une nappe d’azulejos
Ajouté des roses bleues enguirlandées
Promenade à Biarritz, un jour de septembre ensoleillé, entre deux films du festival Biarritz Amérique latine. La ville est impeccable, boutiques de macarons, de chocolats ou de vêtements chics, consommateurs bien nourris aux terrasses des cafés. Pas un papier par terre, pas une feuille morte qui traîne, pas un pauvre tendant la main au coin des rues. La Grande Plage est ratissée tous les jours, les surfeurs planent sur les vagues féroces de l’océan en combinaisons luisantes.
J’ai passé l’été à l’autre bout du monde. Chaque jour, j’ai marché au milieu de plantes luxuriantes enchevêtrées à perte de vue. Un ciel bleu souvent, gris parfois, lourd de la chaleur accumulée. Des trombes de pluie s’abattaient sans rafraîchir l’atmosphère. Les arbres dont on ne distinguait plus le tronc couvert de plantes invasives tendaient leurs bras feuillus vers le ciel d’orage. Quelques oiseaux volaient de branche en branche, noires énigmes.
Hors saison
Métro parisien, un soir de mars, 22 heures. Il fait encore frais ces jours-ci. Tous les passagers, hommes et femmes, sont couverts des pieds à la tête : pantalons, jupes, collants, écharpes. Une jeune fille, très grande, très blonde, cheveux longs dénoués, s’assied sur le siège en face du mien. Un visage aux pommettes hautes, de beaux yeux verts, l’air tranquille. Elle pianote sur son téléphone portable, comme les trois quarts des passagers.
Un pull et un blouson à manches longues couvrent le haut de son corps. En-dessous, elle porte un boxer noir.