Les loups

Ruth Orkin, Fille américaine Italie (Florence 1951)

La photographe Ruth Orkin et Ninalee Allen approchent de la Piazza della Repubblica à Florence, en 1951. Des hommes font des commentaires au passage de Ninalee. Ruth lui propose alors de refaire le même chemin et demande aux hommes présents de rejouer la scène sans regarder l’objectif de son appareil.

Cette photo est devenue célèbre longtemps après, comme un symbole de l’oppression des femmes par un regard masculin impérieux et dominateur. Ninalee explique cependant dans diverses interviews que cette scène était amusante pour les deux jeunes femmes. Elle ne se sentait pas en détresse mais plutôt adulée comme la Béatrice de Dante dans la Divine Comédie.

J’ai vu cette photo en poster dans de nombreux restaurants ou bars avec toujours  la même impression de malaise. Même si Ninalee n’a pas de la scène un souvenir douloureux, celle-ci évoque un encerclement du féminin par le masculin, la femme étant une proie, considérée selon son physique et non comme une personne digne de respect.

Entre autres anecdotes, cette photo me rappelle un voyage en Tunisie lorsque j’avais dix-sept ans. Nous étions un groupe mixte d’une vingtaine d’adolescents. Un soir, les garçons du groupe n’étaient pas là pour une raison que j’ai oubliée. Le bus où je me trouvais avec les autres filles fut encerclé par de jeunes Tunisiens. Massés près de la porte, ils nous jetaient des regards luisant de désir désespéré. Je me souviens de notre peur et du soulagement quand des hommes adultes vinrent les disperser.

Dans les années 1980, je pris à Barcelone un train vers l’intérieur de la Catalogne. Des adolescents, lycéens sans doute, discutaient entre eux non loin de moi. Soudain, lors d’un arrêt, ils aperçurent deux jeunes filles sur un quai de gare. Ils se précipitèrent à la fenêtre du wagon et se mirent à crier des appels, à siffler, à chanter des chants grivois… Une métamorphose. Les filles ne bronchèrent pas et le train repartit ; les ados reprirent leur discussion dans le wagon. Un incident anodin en apparence, quasi effrayant pour moi dans sa banalité.

Rien à voir avec les compliments furtifs, les regards admiratifs, le plaisir de croiser une personne inconnue, le regret de n’échanger qu’un sourire avec elle (Ah ! Si seulement on allait dans la même direction, car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais *).

Désir fugace de la rue, histoires entraperçues aussitôt évanouies.

Je veux dédier ce poème
À toutes les femmes qu’on aime
Pendant quelques instants secrets

 À celles qu’on connaît à peine
Qu’un destin différent entraîne
Et qu’on ne retrouve jamais

On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir
 

Extraits du poème Les passantes, paroles Antoine Pol, musique Georges Brassens

* La passante, Charles Baudelaire

 

 

1 réponse
  1. BERNARD LASCAR dit :

    « Le désir est l’essence de l’homme » écrivait Spinoza. En ce qui concerne le désir sexuel, il se manifeste différemment chez l’homme ou chez la femme. De plus, la société avec ses codes influe sur la manière dont les regards sont portés ou échangés entre les deux sexes. On n’éteindra jamais la force du regard, le tout est de considérer l’autre avec tous les égards dus à la personne humaine.

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