Fraternité

Jean, Alain et Maryse, avril 1957

Quand un organe interne au corps disparaît, les autres organes se déploient pour combler le vide et l’organisme se reconstitue autour du manque. Lorsqu’une personne est amputée d’une partie de son corps, elle ressent souvent une douleur à l’emplacement du membre disparu. C’est le symptôme du membre fantôme décrit par Ambroise Paré dès le XVIe siècle. Il disparaît au fur et à mesure de l’évolution de l’image du corps sans la partie manquante, il faut un temps pour s’y habituer.
Dans toute famille il y a des bisbilles, des embrouilles pour des paroles maladroites ou déplacées, des réactions inopinées, des mots qui blessent et que l’on ne doit pas dire, mais que l’on dit quand même.
La disparition d’un membre de la famille recouvre tout cela et ceux qui restent se regardent autrement, les épidermes froissés se déplient, des cousins qui pensaient se recontacter un jour, plus tard, se revoient maintenant car ce n’est pas plus tard, c’est aujourd’hui ou peut-être jamais.

Sur une photo surgie d’une forêt lointaine, trois enfants posent fièrement, les deux frères la main appuyée sur une épuisette, la petite sœur un ballon sous le bras et une poche à la main dans laquelle survivent quelques têtards pêchés dans la mare aux canes. Les têtards deviendront de minuscules grenouilles noires qui ne survivront pas à la transplantation loin de leur mare d’origine. Les frères et la sœur grandiront, s’éloigneront les uns des autres, se disputeront, se retrouveront, éternels enfants ravis de leur après-midi ensoleillée à la mare aux canes.
Plus tard, un des frères s’en ira ; l’autre frère et la sœur, enfants du passé déguisés en retraités, entourent celui qui n’est plus comme ils l’avaient fait ce jour-là en revenant de la mare aux canes, dans la belle forêt.

4 réponses
  1. Charles dit :

    Et oui, c’est ainsi. Il faut continuer la route sans ceux qui l’ont suivie en même temps que nous. On ne pourra plus revenir à la mare aux canes avec eux. Mais ils sont là, dans nos têtes.

  2. Pascal Chastin dit :

    Merci Maryse pour ce beau texte plein d’humanité. Profitons des êtres chers pendant qu’ils sont là, et faisons moissons d’instants de grâce, à la mare aux canes ou ailleurs…

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