Les gens

Les gens sont de retour. Ils sont là, dans les rues, sur les terrasses des cafés et dans les restaurants. Ils sont assis sur les bancs publics, ils jouent à la pétanque dans les parcs, ils prennent un verre, comme ça, pour le plaisir d’être ensemble.

Depuis plus d’un an, ils avaient disparu. On marchait dans les rues, devantures fermées, rideaux baissés, visages masqués.

Et voilà qu’ils reviennent. Je n’aurais jamais cru qu’ils me manqueraient autant, les gens. Ces inconnues à la terrasse des cafés qui rient entre elles en se racontant des histoires que je n’entends pas, ces hommes en train de papoter devant une bière ou un café, ces étudiants qui passent en bavardant, le masque de travers.

Les gens. Souvent ils nous énervent, les gens. Les gens ne font pas attention, ils ne respectent pas le code de la route, ils mangent trop gras, boivent en excès, ne savent pas élever leurs enfants, votent n’importe comment…

Mais quand ils ne sont plus là, les gens, nous sommes tout dépeuplés.

Pour critiquer les gens il faut les connaître et pour les connaître il faut les aimer, disait Coluche.

En espagnol on dit mi gente, ceux dans lesquels je me reconnais, ce qui ne peut se traduire par « mes gens » car en français cette expression renvoie aux serviteurs d’un aristocrate ou d’un grand bourgeois. « Les miens » fait plutôt allusion à la famille. On peut user d’une périphrase : « les gens que j’aime ».

Y a des gens qui s’aiment et qui s’assemblent, des gens différents qui nous ressemblent*, dit la chanson. Les gens que j’aime sont de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de tous les genres, ils parlent toutes les langues. Ils sont gros, maigres ou juste moyens, beaux, moches ou juste moyens, grands, petits ou juste moyens.

À la terrasse d’un café, à la mi-mai, j’ai croisé une jeune femme, coiffée d’un chapeau rouge à plume noire surmontant une veste en velours vert pomme, les yeux cachés par des lunettes de soleil en forme d’œil de mouche. Une de ces créatures sublimes qui se baladent dans les rues, éclatants oiseaux des villes disparus du paysage urbain depuis des mois.
Mon cœur a battu plus vite, comme lorsqu’à la campagne on voit les premières cigognes ou les vols d’hirondelles qui reviennent d’Afrique au printemps.
Ça y est, me suis-je dit, les gens sont de retour, ils sont là. Et avec eux la vie.

* Christophe Maé, Les gens

 

6 réponses
  1. Yuna dit :

    Quelle belle observation Maryse ! En effet, ces inconnus redonnent vie à notre environnement et provoquent indirectement de l’enthousiasme. Sur les réseaux sociaux, des commentaires méprisants et accusateurs vont bon train, au sujet du comportement d’irresponsables français qui s’agglutinent en terrasse. Mais qu’on leur foute la paix ! On a besoin de vie dans nos quartiers.

  2. Bernard Lascar dit :

    Très beau texte qui nous prend à contre-pied et qui rétablit la réalité et la beauté de la vie : que serions-nous sans les gens ? Tous ! On n’est pas obligé d’avoir des affinités avec tout le monde, mais ce monde-là c’est la vie dans sa diversité. Texte généreux qui restitue ce qui nous est le plus cher : la liberté de voir et d’aimer !

  3. Alexandre CAZERES dit :

    Oui Maryse, je comprends ton sentiment de renaissance (à notre âge !!!) eu égard à la pandémie et à son cortège d’interdits, pour ce qui est des allées et venues… Je me reconnais en cela dans ton propos mais pas plus que cela, au-delà.
    Et cela mérite quelques explications.
    D’abord ma situation perso dans une banlieue verte ne m‘a jamais coupé des autres et de la nature en particulier. La pandémie m’a encore davantage poussé à ne fréquenter les boutiques qu’aux heures creuses, à éviter les transports en commun (assez drôle étymologiquement)…
    Mes propres goûts me font préférer les petits groupes aux grandes foules. Celles-ci en effet me font peur, qu’elles soient dans la rue (gilets jaunes ou black blocs), dans les stades voire dans les festivals musicaux et autres (quel dommage !) ; car d’évidence je crains les réactions aveugles de ces foules… pardon tu dis « les gens ».
    Peur physique bien sûr, peurs psychiques aussi.
    Car tu parles des gens au sens générique comme l’a fait le Parti communiste ces dernières années avec ce concept qui s’est substitué progressivement à celui de « peuple ».
    Et sans doute lui préférerai-je, les petits groupe de quelques unités, individualités, comme en parle Léo Ferré dans sa chanson « Richard » (les gens il conviendrait de ne les connaitre qu’à certaines heures pâles de la nuit avec des problèmes d’homme ou de mélancolie – je cite de mémoire mais avec risques d’erreur).
    C’est donc la masse qui me fait peur…. Même si le « présentiel » (comme on dit aujourd’hui avec ce substantif si déconnecté de toute vie réelle) est synonyme d’ambiance, de chaleur humaine, etc. Exemple au stade avec le rugby…
    Je reconnais aussi que la raréfaction des gens sous le poids de la technologie révise notre jugement : je préfère la caissière à la caisse automatique, le magasin avec des gens à la livraison à domicile, le banquier au comptoir au DAB, le marché d’Oloron ou de Meudon au Leclerc ou au LIDL… J’en arriverai même à regretter les poinçonneurs du métro.
    Et enfin, autant le dire, je me méfie de la foule, de ses mauvaises intentions sous l’impulsion de quelque leader mal intentionné black bloc ou terroriste en herbe… Tu me diras que dans ce cas aucune Bastille aucun Hôtel de Ville par temps de 2e guerre mondiale, n’aurait pu être pris et de ce fait, le cours de l’histoire n’aurait pu changer. C’est vrai : alors acceptons les exceptions nécessaires…
    Car la foule , « les gens », de surcroît, ne sont pas toujours tolérants et avenants… Souviens-toi avec Paco Ibañez qui chantait « La mala reputación » de l’ami Brassens.

    No hace falta saber latín
    Yo ya sé cual será mi fin,
    En el pueblo se empieza a oír,
    Muerte, muerte al villano vil,
    Yo no pienso pues armar ningún lío
    Con que no va a Roma el camino mío,
    Y a la gente no gusta que
    Uno tenga su propia fe.
    Todos, todos me miran mal
    Salvo los ciegos, es natural.

  4. Maryse Esterle dit :

    Merci chers amis pour vos commentaires.
    Alexandre, Ta réflexion élargit la mienne autour des « gens » qui nous entourent.
    Je parlais de ceux que nous croisons tous les jours sans les connaître, et qui forment une sorte
    « d’environnement urbain vivant » dont je me suis rendu compte à quel point ils étaient importants dans nos vies. Le fait de voir des visages humains sans masque ressort de la même nécessité : reconnaitre les autres comme faisant partie d’un « nous », sans qu’il soit nécessaire de les connaître personnellement (au contraire !).
    C’est assez propre à la vie urbaine, et j’ai toujours aimé me promener ou circuler au milieu de foules d’inconnus, en temps de paix bien sûr.
    Sinon comme toi, je ressens une grande appréhension quand les foules se lancent dans des colères incontrôlables et souvent à côté de l’objet (lynchages, exécutions sommaires, attaques de bâtiments etc.). Il y a aussi les mouvements de foule : compression de personnes qui ne peuvent plus se dégager, avec parfois des écrasements involontaires mais impossibles à éviter.
    Et oui « les gens » peuvent être fort malveillants !
    C’est ce que dénonce Brassens dans « La mauvaise réputation ».

    Mais les gens n’aiment pas que
    L’on suive une autre route qu’eux…

    Reste que pour faire société, il faut du monde dans les rues, des échoppes et des estaminets ouverts, et des inconnus de tous styles qui se côtoient dans une bienheureuse indifférence.
    C’était en quelques mots l’objet de mon petit article.
    À bientôt pour d’autres échanges !

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