Publications par Maryse Esterle

Attente

La nuit tombe tôt en hiver, lourde et froide. Quelques personnes attendent le bus à la mairie de Montreuil. Le froid est piquant ce soir, il est près de 22 heures.
Une jeune femme attend sous l’abribus avec son bébé dans une poussette. Une écharpe noire cache son cou, ses oreilles et ses cheveux. Elle porte un grand pull trop fin pour la saison. Elle me fait penser aux ouvrières décrites par Roger Vaillant il y a un siècle dans son roman « Un jeune homme seul ». L’hiver, en guise de manteau, elles portaient « par-dessus leurs caracos, des châles de laine, de couleurs vives, en forme de rectangle allongé, terminés par des franges, qu’elles drapaient comme des écharpes sur leurs épaules ».

Sombre métro

Un soir de novembre, ligne 1 du métro parisien. Pas trop de monde dans la rame, quelques personnes masquées. Soudain le métro s’arrête entre deux stations. Les lumières s’éteignent, relayées par l’éclairage de secours. Les passagers restent calmes, un peu interrogateurs. Personne ne parle. Une annonce au micro nous invite à ne pas tenter de descendre sur la voie, le métro va bientôt repartir. L’instant se prolonge.

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Rumeur

Cahier de classe d’une petite fille qui me ressemble, année 1958-1959, CE1, classe de 10e. Exercices d’écriture, dictées, calcul, conjugaisons, vocabulaire et maximes de morale, écrites en tête de chaque journée. La plupart nous incitent à être de gentilles petites filles obéissantes, attentives et serviables : Je consolerai mes camarades qui ont du chagrin, j’aiderai les faibles, l‘élève assidu ne manque qu’avec de bons motifs. Quelquefois les maximes sont au masculin, car elles valent pour les garçons et les filles.

Déconnexion

Une piste dans les Picos de Europa en Espagne, ainsi nommés car ils étaient les premières montagnes que les navigateurs apercevaient en atteignant l’Europe.
J’y suis venue en vacances avec un groupe d’une trentaine de randonneurs catalans. Depuis le refuge d’Ávila où nous avons passé deux nuits, nous descendons les huit kilomètres de piste vers la vallée. Je me sens en forme, la pente est douce. Nous croisons des vautours au repos, des chevaux, des vaches ocre et noires. PaisIble harmonie. À mi-chemin, nous prenons une joviale photo de groupe et continuons notre descente. Je marche seule mais j’entends derrière les voix des derniers de la file et devant, je vois trois femmes et un homme marchant à quelques dizaines de mètres.

Velours de fleur

Il fait chaud… Les pétales crémeux des fleurs de yucca penchent nonchalamment vers le sol. Plante méditerranéenne et de climat désertique, elle est promise à un bel avenir en climat tempéré, qui ne l’est plus tant que ça… Celle-là m’a fait un cadeau de velours satiné, dans mon jardin de banlieue.

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Distribution des prix

Fin de l’année scolaire. Des cohortes d’enfants parcourent les rues avec leurs animateurs. L’école est finie.
Il n’y a plus aujourd’hui de distribution des prix, cérémonie clôturant jadis l’année scolaire, avec remise en grande pompe des livres aux têtes de classe. Couronnement d’une année de félicitations, d’encouragement et d‘inscriptions au tableau d’honneur. Certaines de ces distinctions ont survécu, mais non les prix de fin d’année ni leur distribution, à l’école publique du moins.
Salle des fêtes de mon école primaire de filles, il y a bien longtemps. Toutes les élèves sont là, en costume du dimanche, assises dans la salle avec leurs parents. J’ai le prix d’excellence, le Jupiter des prix, ex aequo avec une amie, comme pendant toutes nos années d’école primaire. Je suis en plein dans les statistiques : fille de professeurs, exercices toujours faits, leçons apprises au cordeau, visites culturelles en lien avec le programme. L’école à la maison et la maison à l’école. Un continuum assez ennuyeux, garantie d’un avenir assuré et sans surprise. Pourtant, elles ne manqueront pas plus tard, les surprises, bonnes ou mauvaises.

Capoeira

Tourne tourne sur la tête mestre de capoeira,
homme toupie pieds en l’air
saut arrière roue sur les mains.
Toute la planète est là dans ce coin du 93
rhabillé en Brésil,
à Romainville un dimanche de juin.
Hommes femmes garçons et filles,
grands petits ronds et minces,
Blancs Noirs et toutes les nuances entre les deux
mais on s’en fiche de la couleur et du genre,
Français du Brésil ou Brésiliens de France
sans oublier le Cap-Vert et l’Angola,
ils font la roda autour des joueurs.

Le poids des livres

Changement de maison. L’occasion de trier, de se débarrasser du superflu. De tamiser le tas de livres qui pèsent lourd dans les cartons. J’en ai donné beaucoup, ou plutôt je les ai mis dans une boîte à livres. Curieusement, le lendemain ils n’étaient plus là, tous disparus, même les analyses épineuses en sciences sociales ou les traités de jardinage des années 60. Des marchands passent-ils les rafler d’un coup pour les revendre au prix du papier ? Les livres ordinaires, ceux de tout le monde, perdent de leur valeur en vieillissant. Ils pèsent lourd et filent vite, interchangeables sur les tables des libraires, direction les boîtes à livres.

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La trace du poète

Le poète ne sert à rien,
comme les fleurs dans un jardin,
l’éclat de la rosée dans le petit matin,
le vol des alouettes et des palombes douces.
Le poète n‘est pas d’un bon rapport ni coté en Bourse,
d’ailleurs il ne gagne pas beaucoup de sous.
Et pourtant sans poèmes, si dure serait la vie,
si plates nos journées, si pâles nos émois. Nous ne pourrions que dire : « oh ! C’est beau ! » devant un paysage
ou « qu’il est mignon » en voyant un animal ou un enfant joli.