Pingouin

Sur l’île Martillo, au large de la Terre de Feu, le roi des manchots se dandine  avec sa petite casquette et sa collerette orangées au milieu des  manchots gris. Il est le clou de l’excursion à l’île Martillo sur le canal de Beagle, et on peut se demander qui regarde l’autre quand on voit les touristes prendre des photos. On peut se demander aussi ce qu’il fait là  ce manchot royal tout seul au milieu des manchots de Magellan  qui couvent leurs œufs et que tout le monde ici appelle « los pingüinos ». Il a l’air un peu arrogant comme ça mais il est peut-être triste d’être le seul de son espèce, peut-être que les manchots gris lui battent froid, c’est pas facile d’être minoritaire. Mais dans tous les cas, manchot royal ou manchots de Magellan, ils ont une sacrée patience car ils voient des touristes tous les jours et  ne s’énervent jamais.

 

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Huit heures du soir. L’avion vole au-dessus de l’océan, il a dépassé le Brésil. Moment entre deux continents, ici ailleurs, passé présent. Nous sommes français, argentins, russes, américains. Personne ne peut s’échapper de ce navire volant (le chef de cabine nous a parlé de croisière) et nous formons une communauté éphémère où la bagarre est impossible et les sourires sans engagement. Les lumières sont éteintes et les passagers somnolent devant leurs écrans. Il y a des friandises partout par petites bouchées salées ou sucrées, des mini-bouteilles de yaourt liquide, il ne manque plus que les biberons pour glisser dans le monde ouaté de la petite enfance, dans la pénombre amniotique de ce vaisseau au ronronnement de géant. Debout à l‘arrière de l’avion, deux Argentins se parlent dans leur douce langue chantante. Un homme regarde le vide, opaque au sourire de sa compagne. Une femme étire son dos et son cou, les stewards et les hôtesses sont d’une prévenance bleu foncé comme leur uniforme.
Les gazouillis des bébés se mêlent au bruit du moteur, nous sommes dans la matrice du ciel.

 

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Chat mystère à San Telmo, Buenos Aires

Chanteuse en majesté et danseurs inspirés au café Tortoni, un soir d’été à Buenos Aires.

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Quand ma mère est venue au monde, il y a un siècle, elle s’appela Marie Puyou, c’est-à-dire qu’elle porta le prénom que ses parents lui avaient donné et le nom de son père. C’était le cas de tous les enfants de parents mariés à l’époque. Puis elle se maria à son tour et même si légalement elle s’appelait toujours Mademoiselle Marie Puyou, elle devint Madame Fernand Esterle pour ses amis, ses collègues, son employeur et nombre d’administrations. Et comme elle, en se mariant, des millions de femmes perdaient leur prénom d’origine et prenaient celui de Raoul, Gaston, François ou Paul. Leur identité était littéralement effacée par un usage qu’aucune loi ne vint confirmer mais qui s’imposait comme une évidence. La plupart des  intéressées en étaient  fières et les jeunes filles s’exerçaient à signer du nom de leur futur époux ou de celui avec qui elles convoitaient un mariage.

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En route vers l’IUFM, janvier 2013,  tôt.

Ce matin j’étrenne une nouvelle sacoche, légère comme une plume, plus maniable que la précédente. À chaque départ,  mes premiers pas annoncent la journée : serai-je en forme aujourd’hui, ou la fatigue pesante alourdit-elle déjà le trajet ? Comme dans une sévillane où les notes préliminaires indiquent le tempo : c’est une rapide ou une lente, et les danseurs  ajustent le rythme de leur mouvement à celui de la musique. À l’heure qu’il est, c’est plutôt lent.

Sur le chemin qui descend vers le métro,  deux hommes commencent à décharger un camion, une jeune femme pressée me double, son sac à bandoulière à l’épaule, un jeune homme marche devant moi, les mains dans les poches d’un méchant petit blouson, les épaules rentrées, les volutes de fumée de sa cigarette serpentant autour de son col relevé. J’étrenne une belle polaire beige mais j’ai très froid aux joues et au menton.

Un peu plus de monde à l’approche du métro, des gens promènent leur chien, les commerçants installent leur étalage sur le marché de la place de l’Église. Le trafic est déjà dense sur l’avenue Jean Lolive, cette grande veine qui relie Paris à la Seine-Saint-Denis : Bobigny, Bondy, Rosny… le 93 profond, celui des cités qui font peur. Moi j’habite le 9-3 tranquille, tout près de Paris, inconnu des médias, sans histoire.

La ville m’entraîne, comme si j’étais portée par tous ces gens qui avancent vers le métro, reliés les uns aux autres en cohorte. Sirène d’une voiture de pompiers, ils déboulent avec leur voiture rouge. Il y a encore des lumières de Noël accrochées aux lampadaires.

 

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Quelques mois plus tard, une autre photo de classe… Mai 68 est passé par là, les blouses ont volé par-dessus les murs du lycée, nous n’en devînmes ni plus pauvres ni plus riches pour autant, mais nous eûmes des opinions : de droite, de gauche, d’extrême-gauche, du centre (celles-là étaient plutôt mal à l’aise), avec des cours de philo ou d’histoire transformés en pugilats  quelquefois… Bref nous commencions à penser, ce qui n’était pas mal pour des filles à l’époque et nous ne savions même pas quelle chance nous avions de pouvoir le faire ! C’est après, quand nous avons quitté cette banlieue ouest bourgeoise et bien élevée, que nous avons réalisé comment était le monde, pour y prendre place plus définitivement, et sans doute de manière assez stable jusqu’à aujourd’hui…

 

IMG_0002 - Copie

Il y a comme un petit retour vers le passé  à l’école aujourd’hui, voilà que l’on reparle des uniformes… Cela m’a fait penser à un texte publié au début des années 2000 dans la revue VEI Diversité, où je parle de ces blouses que nous devions porter jusqu’à la fin des années 1960. J’étais lycéenne dans la banlieue ouest de Paris où régnait encore la ségrégation de genre : deux mille garçons d’un côté de la rue, deux mille filles  de l’autre ; deux fausses sociétés qui s’épiaient,  sans hommes ou sans femmes.

« Nous portions des blouses roses ou bleues (on disait : c’est la semaine rose ou c’est la semaine bleue) et nous devions dissimuler nos vêtements sous ces blouses. Nous devions les fournir et les entretenir nous-mêmes. Il y avait des boutiques spécialisées où on pouvait en trouver. Quand une fille s’était trompée de semaine, elle était facile à repérer et à sanctionner : une bleue dans une vague de roses, une rose au milieu des bleues. Lire la suite

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Il faut être folle, n’est-ce pas, pour aller sur une place, en pleine dictature militaire, coiffée d’un fichu blanc sur lequel est inscrit le nom de son enfant ? Pour aller réclamer, face contre face des militaires, des nouvelles des disparus ? Il faut être nombreuses à être folles pour résister aux gardes à cheval qui rentrent dans la foule ou aux policiers  dont on ne voit pas le visage derrière la visière sombre du casque ? Pour demander où sont les bébés sortis du ventre de  mères dont on ne retrouvera jamais la trace ?

Le tyran déclare : Le disparu c’est  l’inconnu. Si l’homme apparaissait vivant il aurait un traitement X, s’il apparaissait mort il aurait un traitement Y, mais tant qu’il reste disparu, on ne peut le traiter d’aucune manière, c’est l’inconnu, le disparu  n’est pas une entité, il n’est ni mort ni vivant, face à cela nous ne pouvons rien faire, nous soutenons la famille. Jorge Rafael Videla, Buenos Aires, 1979.

Jeux de mots d’outre-tombe pour morts sans sépulture. Lire la suite

Quand la voix des politiques s’enroue, restent les poètes.

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País petit

El meu país és tan petit
que quan el sol se’n va a dormir
mai no està prou segur  d’haver-lo vist.

Diuen les velles sàvies
que és per això que torna.
Potser sí que exageren,
tant se val! és així com  m’agrada a mi

El meu país és tan petit
que sempre cap dintre del cor.

Lluis Llach, poète et chanteur catalan

Petit pays

Mon pays est si petit
Qu’en allant se coucher
Le soleil n’est jamais vraiment  sûr de l’avoir vu.

Dans leur sagesse les vieilles disent
Que c’est pour cela qu’il revient,
Elles exagèrent peut-être,
Peu importe, c’est comme cela qu’il me plait.

Mon pays est si petit
Qu’il peut tenir tout entier dans mon cœur.

 

 

 


País petit 

Mon pays est si petit
Qu’en allant se coucher
Le soleil n’est jamais vraiment  sûr de l’avoir vu.

Dans leur sagesse les vieilles disent
Que c’est pour cela qu’il revient,
Elles exagèrent peut-être,
Peu importe, c’est comme cela qu’il me plait.

Mon pays est si petit,
Qu’il peut tenir tout entier dans mon cœur.


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