Entre Laumière et Jaurès, une jeune fille de seize ou dix-sept ans dit à une autre, Moi je m’invente des besoins. Je me dis J’ai froid et je n’ai qu’un gilet, alors il faut que je m’en achète un autre, ça me fait un besoin, un truc à acheter. Elles rient toutes les deux.
Billets vie quotidienne
Drôle d’endroit pour mettre des tennis, bientôt les fils seront enterrés dommage ça aurait permis de faire des lancers de trucs à fil, de pelotes de laine lestées de petits cailloux, de cordes à sauter, de casseroles attachées par le manche. Les amoureux pourraient lancer des cadenas reliés par des fils de couleur, ça ferait des guirlandes en attendant Noël. Mais il ne faut pas en accrocher trop car ça risquerait de peser sur les câbles, les fils électriques c’est fait pour faire passer l’électricité quand même et les agents d’EDF ne seraient pas contents. Et les voisins non plus.
Boulevard du Montparnasse à Paris, un samedi de décembre 2016, il fait froid.
Je suis pressée, je vais à la séance matinale d’un cinéma du quartier et je ne veux pas rater le début. Il est assis là, posé sur le trottoir, son sac à côté de lui, au bord d’une sortie de voiture. Je le vois d’abord de face, un homme jeune, aux yeux sans regard, le visage immobile encadré par la capuche de son anorak. Pas la moindre sébile devant lui pour faire la manche, ce n’est de toute façon pas un lieu très adapté.
En sortant du cinéma, trois heures et un débat animé plus tard, je le retrouve de dos, dans la même position. Il y restera sans doute longtemps, corps pétrifié qui ne demande rien, visage engourdi, très loin de nous.
Un jour de janvier, je ne sais plus de quelle année.
Vous voulez vous asseoir madame ? Ce soir dans le métro, une jeune fille m’a proposé sa place quand je suis entrée dans le wagon. Ça se voit tant que ça ? Déjà que je me sentais vieille et fatiguée et en plus j’ai une carte senior depuis un mois ! Il va falloir lutter pour garder le moral et le printemps est encore loin.
Un de mes copains raconte cette histoire : il entre dans un wagon de métro, une jeune fille est assise, elle est jolie, il lui sourit. Elle lui rend son sourire, il se dit J’ai une touche (on parlait comme ça quand on était jeunes). Elle fait mine de se lever en disant : Vous voulez vous asseoir, Monsieur ? Non non, souffle-t-il en se sentant devenir cramoisi. Là j’ai eu l’impression d’être vraiment vieux, lâche-t-il au milieu des rires. Et moi de même aujourd’hui, et aussi quand j’avise un joli garçon qui ne me prête pas la moindre attention et dont je me rends compte, à l’observer de plus près, qu’il est nettement plus jeune que ma fille.
Emmanuelle Riva s’est envolée le 27 janvier dernier. Deux semaines plus tôt, elle éclairait l’émission de Laure Adler avec ces paroles :
Je commence à dépasser les bornes de l’âge, je sens qu’on est deux, il y a mon corps et moi, je le sens très fort, il y a une lutte et puis faut pas faire la maline, faut se dépêcher d’être comme tout le monde, faut pas se faire remarquer ! Son rire argentin de jeune fille.
Vivre en artiste c’est quoi ? De l’art j’en vois chez beaucoup de personnes, l’art de vivre. Mon grand-père était un maçon, il était beau, je suis issue de ces milieux là et je dis bêtement que j’en suis fière.
Les souvenirs sont très vivants pendant que je m’entretiens avec vous, je ne veux pas que vous soyez venue pour rien !
Ça devrait être simple un couple, parce que tout s’intrique, et en même temps on a besoin de liberté. On a besoin d’être seul mais avec les autres. On ne se sent pas seul sauf quand on est un peu malade, parce qu’on a la frousse. Lire la suite
Octobre 2016
Dans le métro, un petit homme s’est assis en face de moi. Il avait un visage étrange, comme un personnage de dessin animé, il m’a fait penser à un lutin avec des oreilles pointues, un peu comme ça :
Ce n’est pas très ressemblant mais c’est ce que j’ai trouvé de mieux. Il me regardait d’un air bizarre, comme s’il était en colère, mais finalement il est descendu avant moi et le lutin a disparu. Après il n’y avait plus personne de surnaturel dans le métro et dans la rue non plus.
Juillet 2016
Sur le pont au Change, entre Châtelet et l’Île de la Cité, une grande libellule danse dans la lumière du soir. Ses bras blancs ondulent autour de sa tête, elle tient par la grâce de la pointe rose de ses chaussons qui picorent le trottoir. Grâce, élégance, douceur indifférente. Elle ne regarde pas les badauds fascinés, offerte au dialogue silencieux avec son photographe, Vénus de Botticelli plantée sur un trottoir parisien.
Avril 2013, Paris
Un jour, j’ai commencé à donner un euro à quelqu’un qui faisait la manche (on les appelait des mendiants quand j’étais jeune). J’ai donné un euro à un autre, puis à un troisième et j’ai arrêté, trop de misère, impossible, j’allais y laisser mon escarcelle. Ils sont trop nombreux, accrochés aux bancs (quand il en reste), aux grilles du métro, aux parapets sur les quais, blottis dans les encoignures de porte, devant les magasins, au pied des escaliers publics, partout où ils peuvent se faire un nid d’où tendre la main.
Photo teshi.skyrock.com
Octobre 2016
Ce soir, dans le métro, j’étais en train de lire et j’ai relevé la tête car il y avait un drôle de silence dans le wagon. En face de moi, une jeune fille blanche de vingt ans avec une belle chevelure brune regardait vers le sol d’un air pensif ; à côté d’elle, un homme noir très calme et au-dessus, comme penché vers eux, un homme blanc d’environ cinquante ans. En fait il ne les regardait pas, mais il y avait beaucoup de monde debout et il s’était retourné vers nous, sans doute pour ne pas se retrouver nez à nez avec les autres passagers. Un autre homme plus jeune regardait vers le quai. Entre les sièges, une femme en tailleur noir, de profil. Tous gardaient le silence de la fin de la journée, quand les gens pensent seulement à rentrer chez eux pour pouvoir se reposer. C’est l’ange du métro qui passait.
Novembre 2012
Gare du Nord, en bas des escaliers qui descendent des quais ; deux hommes bougent sur des écrans géants, l’un à côté de l’autre, pour Skyfall 007. À droite, Javier Bardem, à gauche, Daniel Craig. Bardem a un revolver dans la main droite et, de dos au début, se retourne vers nous, le regard fixe et malveillant, marqué d’une ombre de sourire qui n’a rien d’avenant. À gauche, Daniel Craig s’avance, une main dans la poche gauche de son pantalon, le genre félin des glaces sans pitié, vêtu d’un smoking bleu marine avec nœud pap’. Le tout au ralenti, dans le vacarme chuintant de la gare du Nord. Lire la suite