Billets vie quotidienne

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Quel sera l’avenir de ces  ados fumeurs croisés sur le quai de la gare d’Avesnes sur Helpe, 15 % de chômeurs, l’industrie textile en berne et rien pour la remplacer ? Première issue après l’école ratée : la maternité à seize ou dix-sept ans pour bon nombre de filles du coin. Les animatrices de la plate-forme d’appui aux décrocheurs, chargées de prendre contact avec les jeunes sortis de l’école sans diplôme, se cassent les dents sur les rayons biberons tétines bavoirs lingettes des supermarchés du coin : elles ont organisé un « stage de relooking » : maquillage, soin de la peau, vêtements, etc. « Les jeunes mamans », comme les appellent les travailleurs sociaux, n’en ont rien à faire, du stage relooking, elles élèvent leurs enfants, touchent le RSA couple avec le « papa » et envisagent à dix-neuf ans d’avoir un deuxième enfant.
Elles ne s’intéressent à rien, disent les animatrices égarées au milieu des tétines et des biberons, mais si, elles s’intéressent à leurs enfants, elles sont des « mamans » et ont arrêté l’école ou l‘apprentissage au premier signe de grossesse. Elles vivent leur destin comme un choix évident, une fonction naturelle, aussi incontestable que celle d’être nées quand leur mère avait seize ans.
Par ici les jeunes ne bougent pas, dit Soraya, animatrice au centre social, qui promène vaillamment son teint bronzé nature et son nom arabe sur cette terre FN, ils ne veulent pas aller à Maubeuge, ils ont peur des Maghrébins. On ne sait pas comment les accrocher, ni à quoi.

Au cours de  mes années dans le Nord, j’ai circulé sur le réseau des trains locaux, loin des TGV qui relient les grandes villes entre elles. Je suis allée dans l’Avesnois, une région rurale,  à l’est  de Valenciennes, limitrophe de la Belgique et des Ardennes. Le voyage de Lille à Avesnes est aussi long que de Lille à Paris, alors que la distance est deux fois moindre. Ces trains sont empruntés par des collégiens et lycéens  qui stationnent en groupe sur le quai des gares. Tranche de vie.

 

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Sur le quai de la gare d’Avesnes-sur-Helpe, des ados très jeunes, tout blonds, attendent le train qui les emmènera vers Aulnoye. Ils fument tous. Un gamin plutôt maigriot aspire les bouffées de sa cigarette en marchant lentement, les bras un peu écartés du corps. Il gonfle les joues quand la fumée entre dans sa bouche et souffle fort pour l’en expulser. Il a une coupe à la mode, les cheveux très courts sur les côtés et plus fournis sur le haut de la tête. Il tapote la cendre de sa cigarette en tendant le bras loin devant lui, de l’air indifférent du type qui a fait ça toute sa vie, genre je fume, c’est mon métier. Il boit un jus de fruits au goulot d’une bouteille en plastique, sans doute de la framboise ou de la grenadine (mais est-ce que les minos d’aujourd’hui boivent de la grenadine ?). Il penche un peu trop la tête en arrière en avalant le liquide et retrousse la lèvre supérieure après avoir fini, comme s’il venait de prendre une rasade de whisky, genre John Wayne dans l’Amazone aux yeux verts. Il en fait des tonnes pour attirer l’attention des filles assises sur un banc, mais elles sont concentrées sur leur discussion avec un autre garçon aussi longiligne que lui. Pas facile de sortir du lot quand on a treize ans…

dav

Un ours se cache dans la ville,
Accroché à son  poteau
Tronc d’arbre mort
Bloc de béton
Forêt lointaine
Sol délavé
Il a l’air triste et apeuré
Si on l’attrape pas de quartier
Même en peluche il fera peur
Il est tout sale il prend la pluie
Il attend là, qui l’aimera ?

dav

géo.fr

Un jour de mars  à Oloron-Sainte-Marie, cimetière communal. Je cherche  la tombe de mes grands-parents et de ma tante. Je croise un homme qui m’aborde. Il porte un béret béarnais,  un grand béret noir à large bord, un pantalon en jean et une veste de toile bleue. J’ai quatre-vingt-trois ans, me dit-il, j’habite à côté, je suis tout seul, ma femme est morte, alors je viens me promener ici. Il a l’accent chantant du pays, la voix un peu rocailleuse. Mon fils est mort à trente-sept ans, me dit-il, sur un chantier à Bordeaux. Il a laissé une femme et deux enfants. L’entreprise nous a annoncé qu’il était mort, il était tombé d’un échafaudage, rien de plus. On a demandé des explications, on  a écrit, rien. C’était mon fils, il avait trente-sept ans. C’est des moments qu’on n’oublie pas, non, on n’oublie pas. Il regarde le sol, les Pyrénées au loin et répète : c’est des moments qu’on n’oublie pas, vous savez.

Ils avaient une maison près de Mourenx, j’y allais pour faire le jardin. Une belle maison un peu isolée. Après, sa femme y allait  avec les enfants, l’été. Maintenant je n’y vais plus,  je suis trop vieux, quatre-vingt-trois ans, il hoche la tête. La maison est fermée, les enfants sont grands, ils vont la vendre, je suis à la retraite depuis longtemps, je viens me promener ici l’après-midi.
Ils ne nous ont pas répondu quand on a écrit, on n’a pas su ce qui s’était passé. C’est des moments qu’on n’oublie pas, vous savez, non, on n’oublie pas.
Le vieux monsieur s’éloigne entre les tombes, son grand béret noir sur la tête, vers le champ près du cimetière où paissent des moutons noirs et blancs avec au loin, les Pyrénées.

Cimetière communal

 

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Paris scintille ce soir ciel chargé de nuages
On ne voit pas les étoiles juste les lumières de la ville
Bientôt il sera minuit première minute de 2018
La foule sur les Champs-Élysées et la Concorde illuminée
On marchera dans les rues les gens souriront
Leurs enfants dans les bras
Heureux

 

Cette semaine, deux publications autour de mon livre « Où va la formation des enseignants ? » : une note du Conseil scientifique  de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) et un entretien sur le site VousNousIls (à voir sur ma page Facebook et sous l’onglet Liens de ce blog). Et en prime, un off du livre par un matin de printemps timide…

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Journée frigorifiante à Arras où je suis arrivée avec un pantalon en lin, un tee-shirt et une liquette par-dessus bref je suis gelée. Les salles de cours étaient vides, seuls quelques étudiants préparaient leur soutenance de mémoire en se frottant les bras et en se levant de temps en temps pour se réchauffer.

Une étudiante toute mince au début de l’année et toute ronde maintenant, pas loin d’accoucher, a fait un mémoire pas terrible sur l’école maternelle. Notre jury lui a fait remarquer qu’elle n’a pas approfondi sa problématique, les notes de bas de page ne sont  pas indiquées selon les normes, l’ensemble est plutôt moyen. Elle riait et elle est partie en gambadant, bourrée d’hormones, hors d’atteinte. Lire la suite

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Samedi dans le métro. Du monde. Je suis debout et    j’aimerais bien m’asseoir. Youpi une place côté couloir se libère, mais je n’ai pas le temps de m’approcher, un jeune homme  souriant s’y installe. Je me dis Dans vingt ans je le vire à coups de canne celui-là. Chance, station suivante son voisin côté fenêtre s’extirpe de sa place avec une valise qu’il avait coincée entre les jambes. Pour le laisser passer, le fringant jeune homme passe dans le couloir et je me glisse vers le siège laissé libre par l’homme à la valise.

Au même instant, le jovial jeune homme encore debout se fait rafler sa place par une vieille postée à la lisière du carré central qui s’assied d’un coup, le regard en avant. Je la vois de profil à côté de moi, quatre-vingts balais bien tapés, le menton un peu en galoche, les cheveux teints d’un joli blond, des lunettes à monture dorée, le dos droit. Ins-tal-lée. Le jeune homme joyeux  se retrouve tassé avec les autres, debout dans l’espace central, et sourit à un copain derrière nous qui a vu la scène, l’air de dire, gonflée la vieille, t’as vu comment elle m’a carotté la place ! Eh oui, ça t’apprendra à être souriant, jeune homme. Et en pleine forme. Mais sur ce dernier point,  tu n’es pas le seul. Les vieilles ont de la ressource.

 

 

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Un restaurant dans une ville portuaire un soir de novembre. Un  jeune homme arrive avec une petite fille sans doute née il y a deux ans. Ils s’installent l’un en face de l’autre à une table pour deux personnes, disposée avec d’autres en ligne contre le mur. Le jeune homme commande un menu enfant pour la petite. Elle patouille sa viande hachée et frotte  les frites contre la table.

Pendant ce temps, son père téléphone ou passe des SMS. Il raccroche souvent, décroche ensuite, tiens bizarre, pourquoi utilise-t-il ainsi son portable au lieu de s’occuper de  sa fille ? Encore un téléphone addict ?
Entre une jeune femme dans le restaurant, elle ressemble tellement à la petite fille, c’est sûrement sa mère. Elle s’assied  à une table qui fait le coin du mur, au bout de la rangée où sont assis le père et sa fille. Mais viens près de nous murmure-t-il. Un silence glacé lui répond. La petite fille se lève et va s’asseoir sur les genoux de sa mère. Celle-ci ne lui parle pas et regarde droit devant elle. Resté seul à sa table, le jeune homme va s’asseoir près d’elles, sans un mot non plus. Ils ont tous les deux le visage gris. Celui de la mère exprime une haine de pierre, celui du père une consternation fatiguée. La petite fille n’a plus rien à manger devant elle, elle ne bouge pas sur les genoux de sa mère.

On dit que nous ne gardons pas les souvenirs avant trois ans, peut-être cette petite fille oubliera-t-elle ce moment ? Ou détestera-t-elle les restaurants sans savoir pourquoi ? Ou hurlera-t-elle soudain quand une amie  lui manifestera un peu d’indifférence ? Ou serrera-t-elle son enfant dans ses bras au moindre pleur en réprimant des sanglots  inconnus ?



 

 

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Assis sur une petite marche dans un salon du livre automnal en plein Paris, un homme mûr se fait aborder par un autre :

  • On se connaît ?
  • Non…
  • Je vois que vous me regardez avec intérêt.
  • C’est parce que vous êtes intéressant sûrement.
  • J’ai cru un instant que j’étais quelqu’un d’important…
  • Tout le monde est important.
  • Oui, mais pour un moment seulement.

C’est comme un lecteur qui dit  à un écrivain qu’il a adoré son livre en se trompant de titre parce qu’il  a confondu avec un autre livre écrit par un autre auteur. Mais il y avait sans doute une vague ressemblance.

 

 

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La vie c’est simple au fond, surtout quand il pleut…