Dans les années 1960, je suis allée plusieurs fois aux sports d’hiver avec mes parents et mes frères pendant les vacances de Noël.
Nous allions à Flumet, en Haute-Savoie, près du col des Aravis. La pratique des sports d’hiver commençait à se répandre et nous nous trouvions bien dans cette station de ski familiale, où les prix étaient plus bas et l’ambiance moins snob qu’à Megève toute proche.
Les skis étaient en bois et résine, longs et lourds, les chaussures en cuir pesaient aux pieds. Je me souviens du cliquetis de cet équipement (skis, bâtons et chaussures) sur l’asphalte de la route vers le téléski. J’appris le chasse-neige virage, figure indispensable pour se lancer sur les pistes vertes, avec un moniteur local. Les enfants descendaient en file lente et remontaient en canard les petites pentes des débutants, tout près de l’entrée du domaine skiable.
Ma fille est née au début des années 1980. Son père et moi lui avons donné un prénom d’épice et de sucre qui reflète la couleur ambrée de sa peau, alliage des deux nôtres. Un jour de printemps, elle avait à peine deux ans, je suis partie me promener avec elle au Forum des Halles. Un orchestre jouait un air de samba sur le parvis. Nous nous sommes assises à côté l’une de l’autre pour écouter les musiciens sur les marches d’un petit escalier, au milieu des spectateurs de ce concert improvisé.
Il y a plus de deux siècles, Xavier de Maistre, mis aux arrêts pendant quarante-deux jours dans la citadelle de Turin, écrivit « Voyage autour de ma chambre », son journal de reclus temporaire. Il trouva le moyen de s’évader en pensée, comme beaucoup d’entre nous pendant ces deux derniers mois, avec plus ou moins de bonheur selon les cas…
Il y a quelques années, ma mère fut hospitalisée dans l’annexe gériatrique d’un hôpital du Pays basque à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Je venais souvent la voir depuis Paris.
Quand j’arrivais, l’accent des soignants, des visiteurs et des quelques patients qui parlaient encore m’enveloppait. À les écouter, je me sentais comme emmitouflée dans une couverture en laine des Pyrénées…






Delphine
J’ai neuf ans. Un matin d’avril 1961, ma mère entre dans ma chambre pour me réveiller. Les généraux ont été arrêtés !*, me dit-elle avec un grand sourire. Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire mais visiblement, c’est une bonne nouvelle. Mes parents et moi ne parlons pas de politique, je suis trop jeune pour ça. Mais depuis quelque temps, l’ambiance est tendue à la maison, comme une épaisseur particulière dans l’air. De même dans tout le pays. J’ignore à ce moment-là ce qu’il se passe en Algérie, je serai renseignée bien plus tard sur la réalité des choses.
On parle d’attentats. Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais je perçois une force violente, massive, explosive. Le mot attentat est un bloc, je l’imagine flottant dans les airs, prêt à fondre sur nous.