Ma fille est née au début des années 1980. Son père et moi lui avons donné un prénom d’épice et de sucre qui reflète la couleur ambrée de sa peau, alliage des deux nôtres. Un jour de printemps, elle avait à peine deux ans, je suis partie me promener avec elle au Forum des Halles. Un orchestre jouait un air de samba sur le parvis. Nous nous sommes assises à côté l’une de l’autre pour écouter les musiciens sur les marches d’un petit escalier, au milieu des spectateurs de ce concert improvisé.
Il y a plus de deux siècles, Xavier de Maistre, mis aux arrêts pendant quarante-deux jours dans la citadelle de Turin, écrivit « Voyage autour de ma chambre », son journal de reclus temporaire. Il trouva le moyen de s’évader en pensée, comme beaucoup d’entre nous pendant ces deux derniers mois, avec plus ou moins de bonheur selon les cas…
Il y a quelques années, ma mère fut hospitalisée dans l’annexe gériatrique d’un hôpital du Pays basque à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Je venais souvent la voir depuis Paris.
Quand j’arrivais, l’accent des soignants, des visiteurs et des quelques patients qui parlaient encore m’enveloppait. À les écouter, je me sentais comme emmitouflée dans une couverture en laine des Pyrénées…
Sale coup
« Béatrice, encore dissipée ! Va au coin ! Martine et Sylvie, vous copierez cinquante fois pour demain : « Je ne bavarde pas avec mes camarades pendant la leçon ! ». Béatrice baisse le nez, vexée de rester au piquet quand la classe sort en récréation. Martine et Sylvie voient s’envoler leur paisible goûter à la maison, elles devront en outre supporter les réflexions aigres-douces de leurs parents : « Tu ne peux pas te tenir tranquille à la fin ! Tu es privée de dessert pour la peine ! ».
Nous autres, les élèves sages ce jour-là, nous gloussons d’être passées entre les gouttes et ne prêtons guère attention aux trois ou quatre punies de la journée. Nous sommes à la fin des années 50, dans l’école primaire d’un lycée de filles public de la banlieue ouest de Paris. J’ai neuf ans.