Main dans la main

Ma fille est née au début des années 1980. Son père et moi lui avons donné un prénom d’épice et de sucre qui reflète la couleur ambrée de sa peau, alliage des deux nôtres. Un jour de printemps, elle avait à peine deux ans, je suis partie me promener avec elle au Forum des Halles. Un orchestre jouait un air de samba sur le parvis. Nous nous sommes assises à côté l’une de l’autre pour écouter les musiciens sur les marches d’un petit escalier, au milieu des spectateurs de ce concert improvisé.

Une femme s’est assise à côté de nous. Je me souviens de ses yeux d’un bleu tendre quand elle m’a dit : C’est votre fille ? C’est bien ce que vous faites.  Sur le coup, j’ai pensé : si on se met à féliciter tous les parents d’avoir des enfants, on ne pourra plus marcher dans les rues. Puis j’ai compris : elle pensait que je l’avais adoptée. J’ai répondu : Mais non, c’est ma fille de sang, je lui ai donné le jour.

Le regard bleu tendre a viré à l’encre noire. En un éclair d’orage jailli des yeux de cette inconnue, la bienfaitrice d’une humanité lointaine et souffrante s’est muée en une créature qui avait eu un Noir pour amant. Déduction incontournable de la couleur de la peau de ma fille, de la forme de son nez, de l’ourlet de ses lèvres et des frisettes de ses cheveux, comparés à ma propre apparence.

Je me suis redressée, nos regards se sont affrontés. Je n’ai pas baissé le mien. J’ai serré ma fille contre moi et sa main s’est glissée dans la mienne.

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5 réponses
  1. Olipeau dit :

    Très beau texte, à la fois émouvant et révoltant : la rencontre d’une mère et de sa fille avec une femme dans la bienpensance, pétrie de racisme inavoué. Il y a tant de choses cachées dans l’affichage de bons sentiments parfois. Ce texte m’a énormément plu : il est de ceux qui décryptent le réel. Je le partage sur la page Facebook de « L’homme révolté aujourd’hui ».

  2. Philippe dit :

    Terrible histoire sur la bêtise ordinaire, révoltante mais hélas trop répandue. J’ai envie d’ajouter une touche de couleur dans ce tableau sombre.
    Il y a déjà longtemps, j’avais comme amie une métisse antillaise. Nous étions assez proches pour aborder certains sujets épineux.
    Un jour, je lui posais la question:
    « Cela ne te pose pas de problèmes d’être black et de vivre dans un monde de blancs? »
    Je voulais savoir comment elle réagissait vis à vis du racisme.
    Comme elle était psychologue de profession, je m’attendais à des réponses compliquées, évasives ou techniques. En fait, rien de tout cela. Elle me regarda avec un beau sourire, comme elle seule savait le faire, et elle me dit:
    « Mais ce n’est pas moi qui est black, c’est toi qui est blanc! »
    Cela peut paraître curieux comme réponse mais en fait c’est beaucoup plus profond qu’il n’y parait au premier abord. Je n’avais jamais vu la situation sous cet angle.
    On s’est perdu de vue depuis longtemps mais malgré tout, chaque fois que je me rase et que je vois mon visage dans la glace, je pense à elle.

    • Maryse Esterle dit :

      Merci pour ces mots, Philippe. Noir, blanc, que de souffrances au nom de ces couleurs, alors que nous sommes tous frères et sœurs, métis descendants des premiers humains. Vive la douceur du mélange…

    • Maryse Esterle dit :

      Non, elle était trop jeune, elle avait tout juste deux ans, on ne garde pas les souvenirs à cet âge-là. Mais elle se souvient d’autres épisodes, où des réactions plus ou moins bienveillantes nous ont accueillies quand nous sommes apparues comme mère et fille. Avec quelquefois des réflexions de simple curiosité, d’autres juste maladroites, des regards de franche hostilité et enfin l’indifférence, le plus agréable pour nous !

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