Cnossos, à quelques kilomètres d’Héraklion, en Crète. Le plus célèbre site archéologique de l’île, étagé sur plusieurs niveaux, avec ses palais, ses demeures patriciennes, ses voies pavées. Des colonnes d’un beau rouge sang, noires à leur sommet, soutenant des toits en terrasse. Des fresques d’une étonnante modernité. On en trouve sur les murs des bâtiments et beaucoup au musée d’Héraklion : le prince au lis, des dauphins, trois dames en bleu…
Ne connaissant pas l’histoire du site, nous circulons dans ces ruines avec un léger étonnement : comment des fresques aussi anciennes (1 600 avant J.-C. quand même) ont-elles pu être aussi bien conservées ? Et ces murs, contrairement aux pierres qui s’entassent à leurs pieds, sont-ils consolidés ou reconstruits ?
La fête des Mères approche.
Être mère, est-ce si naturel ?
Le Glaneur d’Oloron-Sainte-Marie, fin du XIXe siècle, rubrique « Extrait du registre de l’état civil » : naissances, mariages, décès. Aux enfants légitimes sont associés les noms des parents mariés et leur profession ou activité. Aux autres, la seule mention « Un enfant naturel », sans prénom ni filiation. Fils ou filles innommés de personne. Comme les enfants mort-nés.
Quelle famille n’avait pas son enfant naturel ? L’un d’eux se promenait dans la mémoire de la mienne, photo à la clé, avec toute une histoire autour : sa fille-mère serait partie en Argentine pour échapper aux médisances du quartier.
Je fais benoîtement mes courses dans mon magasin d’alimentation préféré. À la caisse, le vendeur me demande mes nom et prénom pour alimenter en points mon programme fidélité. À l’énoncé de mon prénom, il s’exclame : Maryse, avec un y, c’est très original ! Il a l’air de trouver ça joli aussi.
Mais vous savez, dans les années 1960, des Maryse on en trouvait à tous les coins de rue, lui dis-je. Et des Béatrice, des Christine, des Martine, des Jacqueline, des Brigitte, des Claire, des Francine, des Marie-Claude… Et, ajouterais-je si le jeune vendeur m’écoutait encore, des Pierre, des Jean, des Alain, des Paul, des Jacques, des Étienne, des François, des Philippe…
Lorsque ma grand-mère Generosa mourut à 64 ans, en 1947, sa fille aînée Marie-Thérèse, restée auprès d’elle, écrivit à ma mère. Elle raconte dans cette lettre émouvante la fin de ma grand-mère et conclut par ces mots :
« On ne sait pas ce qu’est la souffrance quand on ne connaît pas la perte d’un membre de sa famille et surtout d’une maman comme la nôtre. Quel dévouement infini et quel effacement ! Que de regrets pour nous ! Bises très affectueuses de nous tous ».
Cette expression : « Quel dévouement infini et quel effacement ! » m’a marquée lorsque j’ai lu cette lettre vers l’âge de dix ans. Ainsi, le dévouement infini et l’effacement étaient des qualités féminines dignes d’admiration pour ma tante et une bonne partie de la société qui l‘entourait ?
Automne 1996.
« Ça ne s’arrêtera jamais, maman ! » Ma fille s’effondre sur le canapé du salon. Dans la cour de récréation du collège où elle entame son année de 5e, trois garçons de son âge l’ont poursuivie en lui jetant des marrons : « Marron, marron, ta peau elle est marron ! »
Le lendemain, je me présente au collège à la première heure en expliquant l’histoire. Je suis reçue par et la principale adjointe et la conseillère principale d’éducation.
Les trois lanceurs de marrons s’étonnent d’être ainsi convoqués en urgence.
« C’est pour quoi cette fois-ci ? » Demande l’un d’entre eux.
Prise de vues
« Grand-mère, grand-mère vous êtes morte cette nuit, grand-mère, grand-mère, vous êtes morte d’ennui. Dans votre intérieur modèle, entre vos nappes brodées, vos napperons de dentelle, vous avez capitulé. »
Comme dans cette chanson d’Anne Sylvestre, la plupart de nos grands-mères, ou plutôt des femmes qui nous ont précédés, furent sans doute des mamies confiture, à une époque où l’injonction première faite aux femmes était de se marier et d’avoir des enfants, renonçant la plupart du temps à une carrière professionnelle.