La robe de Lucie

Lucie, tu vas abîmer ta robe ! Dans le square de la porte des Lilas, cet avertissement maternel empêche Lucie, trois ans au compteur, de s’approcher du toboggan si tentant. Elle porte un manteau clair sur une robe bleue et visiblement, doute de la pertinence de l’enjeu : le risque d’abîmer sa robe vaut-il le sacrifice d’une glissade enivrante ou d’un balancement spasmodique sur le hibou monté sur son gros ressort ? Mais à trois ans, la marge de manœuvre est mince et elle n’en est pas encore aux grandes révoltes adolescentes.

Rassure-toi, lui dirais-je si j’osais, tu ne porteras pas de crinoline sur un corset à baleines comme les demoiselles de bonne famille du temps passé, ni de longues jupes qui entravaient la marche ou des chapeaux si larges qu’ils empêchaient les spectateurs placés derrière de voir la pièce de théâtre. Tes chaussures ne seront pas faites pour rester assise et tes cheveux ne tomberont pas jusqu’à tes pieds.

Tu recevras un autre enseignement que celui des bonnes manières, de la broderie, du chant de salon ou des compositions florales.

Tu pourras courir, sauter, faire des roulades, des glissades, des cabrioles et monter sur un vélo sans qu’un médecin ou un confesseur ne te soupçonnent d’en tirer des voluptés secrètes.

Tu es née à l’époque où, après des siècles de discussions sur la différence des filles, tu porteras un pantalon, un tee-shirt, des chaussures plates et tu bougeras ton corps comme tu l’entends sans que grand monde n’y trouve à redire.

Quand les années auront passé, ajouterais-je, si tu regardes ta petite fille batifoler sur les toboggans, balançoires et agrès au square, tu auras un sourire attendri pour toutes celles dont les premiers élans furent arrêtés net et te reviendra en mémoire cette phrase lointaine : Lucie, Sophie, Cindy, Jacqueline, Maryse, tu vas abîmer ta robe ! Comme un vague souvenir d’une enfance oubliée.

7 réponses
  1. Alexandre dit :

    En hommage à Anne Sylvestre, autrice-compositrice décédée le 30 nov 2020, « chef de file » des femmes de la chanson française
    Les gens qui doutent, Anne Sylvestre

    J’aime les gens qui doutent
    Les gens qui trop écoutent
    Leur cœur se balancer
    J’aime les gens qui disent
    Et qui se contredisent
    Et sans se dénoncer

    J’aime les gens qui tremblent
    Que parfois ils ne semblent
    Capables de juger
    J’aime les gens qui passent
    Moitié dans leurs godasses
    Et moitié à côté

    J’aime leur petite chanson
    Même s’ils passent pour des cons

    J’aime ceux qui paniquent
    Ceux qui sont pas logiques
    Enfin, pas comme il faut
    Ceux qui, avec leurs chaînes
    Pour pas que ça nous gêne
    Font un bruit de grelot

    Ceux qui n’auront pas honte
    De n’être au bout du compte
    Que des ratés du cœur
    Pour n’avoir pas su dire
    Délivrez-nous du pire
    Et gardez le meilleur

    J’aime leur petite chanson
    Même s’ils passent pour des cons

    J’aime les gens qui n’osent
    S’approprier les choses
    Encore moins les gens
    Ceux qui veulent bien n’être
    Qu’une simple fenêtre
    Pour les yeux des enfants

    Ceux qui sans oriflamme
    Les daltoniens de l’âme
    Ignorent les couleurs
    Ceux qui sont assez poires
    Pour que jamais l’Histoire
    Leur rende les honneurs

    J’aime leur petite chanson
    Même s’ils passent pour des cons

    J’aime les gens qui doutent
    Mais voudraient qu’on leur foute
    La paix de temps en temps
    Et qu’on ne les malmène
    Jamais quand ils promènent
    Leurs automnes au printemps

    Qu’on leur dise que l’âme
    Fait de plus belles flammes
    Que tous ces tristes culs
    Et qu’on les remercie
    Qu’on leur dise, on leur crie
    Merci d’avoir vécu

    Merci pour la tendresse
    Et tant pis pour vos fesses
    Qui ont fait ce qu’elles ont pu

    Pour utilisation non commerciale uniquement.
    site Paroles.net

    j’invite à la découvrir sur YouTube
    avec également, toujours sur YouTube, un très bel hommage rendu sur scène par Vincent Delerm, Albin de la Simone, Jeanne Cherhal

    Alexandre CAZERES

  2. Marie-Claude dit :

    Bravo, Maryse, pour cette descente de toboggan reportée mais si bien contée !
    Et cette chanson d’Anne Sylvestre sonne si juste à mes oreilles qui n’entendent que leurs paroles !
    MERCI.
    MC

  3. Yuna dit :

    Comme disait une pub de mon enfance: « ça sert à quoi d’avoir des vêtements, si on ne peut rien faire dedans ? »
    Merci à toutes les personnes qui nous ont permis cette liberté d’expression.

  4. Belas dit :

    Quelle évolution il y a dans les tenues vestimentaires et dans les mentalités d’une autre époque ! Je me rappelle, moi petit garçon, mon joli costume marin qui entravait mes gestes et mes élans. Je ne peux laisser ce commentaire sans avoir une pensée émue pour toutes ces femmes, ici ou ailleurs, qu’elles le veuillent ou non, qui se couvrent de pied en cap, et qui, sans doute – et là le doute n’est pas de mise – se sentent entravées d’une manière ou d’une autre.

  5. Petriz dit :

    Cómo cambiaron los tiempos, por suerte !! Cada vez que voy con mi hija de seis años a la plaza es un festival de niñas en perpetuo movimiento!
    Trad. (ME) : Comme les temps ont changé ! Chaque fois que je vais sur la place avec ma fille de six ans, c’est un festival de fillettes en mouvement perpétuel !

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