Vaccins d’enfance

Moi-même et un bel inconnu, juin 1956

Les petites filles avancent en file vers l’infirmière. Elles ne sont pas rassurées car on leur a dit que la piqûre fait un peu mal, mais c’est pour leur bien. Ce n’est pas leur première expérience de vaccin, elles ont toutes reçu au moins le BCG, qui laisse une petite cicatrice en haut du bras.

Dans les années 50, les mémoires familiales gardaient (ou perdaient) le souvenir de petits fantômes qui ne grandiraient pas, emportés par la coqueluche, la rougeole ou la polio. D’autres souffraient de graves séquelles de cette maladie ou des oreillons. Nombreuses étaient les familles où manquait au moins un enfant à l’appel et dans mon école, nous échangions les mêmes histoires : le départ en voyage ou l’envol vers le ciel d’une sœur ou d’un frère, dans des circonstances obscures. Nous soupçonnions les adultes de ne pas tout nous dire.

Le BCG était un sigle familier des enfants des années 50. Ce vaccin contre la tuberculose, qui n’est plus obligatoire aujourd’hui, fut l’objet de nombreuses résistances et controverses, jugé par ses détracteurs peu efficace et d’une insuffisante innocuité. Une certaine désorganisation régnait du reste quant au suivi des enfants vaccinés.

À cinq ans, nous ne le savions pas et lui faisions une confiance enfantine. Le BCG, c’était comme le savon Cadum, les biscuits Lefèvre Utile, La vache qui rit, le Viandox et La Semaine de Suzette, un ingrédient de la vie familiale, bénéfique et rassurant. Grâce à lui, la tuberculose apparaissait comme une maladie abstraite, lointaine, au contraire de la poliomyélite, dont l’ombre sinistre planait sur nous avec son lot de décès et de déformations du squelette.

Elle m‘apparaissait comme le monstre du Cauchemar dans le placard de Mercer Mayer, en version terrifiante, un ogre qui allait se saisir de mon corps et le tordre à en faire craquer les jointures. Cette crainte était avivée par la douleur causée par la piqûre anti polio. Elle irradiait sourdement dans l’épaule plusieurs minutes après l’injection ; si la piqûre faisait mal, c’est que la maladie était grave ! À l’école, on nous mettait en file, en maillot de corps Petit Bateau, pour recevoir le vaccin, avec mission d’accueillir avec vaillance la piqûre salvatrice. Nous nous en tirions pas mal dans l’ensemble.

Tous ces vaccins avaient été préparés pendant des décennies, fait l’objet de multiples essais et débats scientifiques. Ils marquaient la fin de la malédiction des enfants morts, nous promettaient des vies légères, libres, protégées par la science et la médecine.
Nos parents pourraient nous voir grandir avec le sourire. Un grand progrès, ces vaccins-là.

3 réponses
  1. Hervé Garnier dit :

    Adolescent, cette question nous avait été posée par un enseignant :  » quel est selon vous le plus grand progrès des temps modernes ?  » Les réponses étaient variées: « avions », « informatique »… Deux d’entre nous, dont j’étais, avaient répondu :  » les vaccins « . J’ai plus tard entamé mes études de médecine.
    Même si j’ai mon opinion personnelle, je préfère ne pas me prononcer ici sur les vaccins récemment mis au point.
    Je n’oublie pas par contre 2 enseignements personnels: un de mon enfance; un ami très handicapé au niveau d’un membre inférieur par une poliomyélite contractée petit, et qui n’avait pas été vacciné ; le second de mes études, où cet enseignement essentiel m’a marqué :  » Primum non nocere ».
    Bien amicalement.
    Hervé

  2. Bernard Lascar dit :

    Ce texte est une vraie madeleine de Proust. Il m’a rappelé les visites médicales que l’on avait à l’école (je ne sais pas si ça existe encore) quand avec mes camarades de classe on était alignés les uns derrière les autres en culotte et tricot de peau. Et tout au bout il y avait un docteur (docte mot qui nous imposait le respect) qui nous examinait : on ouvrait la bouche et il nous palpait dans la culotte ! On repartait surpris et contents que cela soit terminé. Les vaccins je n’en ai aucun souvenir dans le cadre de l’école mais on savait que cela était utile et qu’ils nous protégeaient contre des maladies dont on n’arrivait pas à prononcer le nom …polo…quoi ?

  3. Maryse Esterle dit :

    On ne met pas tous les priorités au même endroit… Ce qui paraît évident aujourd’hui était loin de l’être il y a quelques décennies, ce fut même une découverte pour les enfants de l’époque ! On finirait par s’y habituer et oublier d’en défendre l’importance…

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