Billets vie quotidienne

Leurs enfants après eux, un livre de Nicolas Mathieu. Destin implacable de familles et d’adolescents après l’extinction des hauts fourneaux, quelque part dans l’est de la France, quand le travail manque et que rien ne vient le remplacer, hormis les supermarchés et les parcs de loisirs.
Les vies tournent en rond sans trouver la sortie, marquées par « l’effroyable douceur d’appartenir ».
Souvenir de ces couples de vingt ans, au bord d’un plan d’eau qui rassemblait la jeunesse et les familles des alentours, quelque part entre Sens et Troyes. Leurs ancêtres étaient sans doute bonnetières, briquetiers, bûcherons ou charbonniers. Les garçons avaient tous une canette de bière à la main, et ils n’en buvaient pas qu’une dans l’après-midi, témoins les petits bidons qui pointaient déjà au-dessus de l’élastique de leur maillot. Les filles affairées à s’occuper du ménage de leur mini-installation au bord de l’eau. Des ados qui jouent aux adultes, me suis-je dit, sauf qu’ils ne jouaient pas, car les bébés dans les bras de leurs mères encore minces étaient bien réels, comme l’étaient les couvertures sur lesquelles on voyait des biberons, des couches et tout le matériel pour s’occuper d’un enfant. Ils avaient l’air sérieux déjà, montés d’un coup de l’enfance à l’âge de parent.  Leurs regards fixes, leurs poses de grands. Comme ceux croisés dans les villages déserts de travail du Nord, un chemin, pas deux. Même pas tristes, des rêves mêmes pas brisés, juste entrevus peut-être. Et leurs enfants après eux ?

Elle ne retrouve plus  son portable. Panique. Elle cherche dans son sac, dans ses poches, s’agite sur le siège à côté de moi.  Son compagnon, assis en face d’elle, interrompt sa lecture d’un livre et  la rassure : mais non, regarde dans ta poche, là.

Ils ont la cinquantaine tous les deux, elle est blonde, soignée sans afféterie, habillée classe moyenne confortable et simple.  Lui porte un loden beige foncé sur une tenue du même genre, belle carrure, barbe fine et travaillée, regard  incisif.  Les deux au mitan de leur vie, de beaux jours derrière eux, encore beaucoup devant, si tout va bien.

Un homme sale, sentant mauvais, s’arrête dans le passage entre les deux carrés de sièges. Une petite pièce messieurs dames s’il vous plaît. Regard las, tête baissée, il sera peut-être écroulé dans un couloir du métro d’ici quelques minutes. Le couple ne lui prête aucune attention. Transparent. La dame trouve enfin son portable, dans sa poche, là, son compagnon avait raison. Elle soupire de soulagement et sourit.  Ils reprennent leur lecture attentive, lui de son  gros livre, elle d’un plus petit. Le miséreux est toujours là, silencieux. Je sors un euro de mon sac  et le lui donne. Le monsieur me regarde d’un air réprobateur, vous savez bien qu’on ne fait pas ce genre de choses, voyons ! semble-t-il dire. Je pourrais lui renvoyer la réflexion. Le miséreux s’en va.

 

 

 

Entendu sur le quai du métro :

– J’ai pas d’enfants, j’ai pas d’animaux, j’ai pas de copain, j’ai pas de travail. Mais je suis libre, je fais ce que je veux.
-…
– Ce qui m’embête c’est que je suis attachée à ma mère. Dans les livres les gens sont attachés à leur copain et aussi à leur mère. Moi je suis seulement attachée à ma mère.
– C’est pas beaucoup.
– Non mais je fais ce que je veux en fait.

 

La station République a retrouvé ses couleurs
Le rouge de l’infamie a quitté son front
Épluchée de ses oripeaux en plastique
Elle montre à nouveau ses carreaux blancs
Ça n’a l’air de rien une République toute simple
Dix lettres blanches sur fond bleu
Mais couverte de ce voile de honte
Elle ployait sous l’offense
Et les voyageurs avec
Qui faisaient semblant  de ne rien voir

 



 

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Paisible soirée de septembre. Le métro un peu cahotant emmène ses wagons sur la ligne 11, heureusement promise à un bel avenir de rénovation. Stations connues, parcours habituel, routine bienheureuse du métro parisien. Sursaut à République : la station est rouge vif du sol au plafond. Qu’est-ce que c’est ? Une déco provisoire pour masquer des travaux ? Une pub ? Un revêtement plastifié rouge sur lequel sont dessinées de charmantes saynètes recouvre les murs voûtés : une pimpante Parisienne avec béret rouge et chien-chien en laisse, deux types sympas en train de discuter, un troisième  main tendue vers une montgolfière, un manège, une maison, des ballons, des pigeons, et tous avec les petites bouteilles à la main, c’est tellement plus sympa, avec Coca-Cola. Le nom de la marque domine en blanc, nettement plus grand que celui de la station. Il paraît que Coca-Cola « a choisi de mettre à l’honneur le Paris des Parisiens » – qui se reconnaîtront sans peine dans ces personnages détendus qui gambadent sur les murs – en créant dix mignonnes petites bouteilles représentant les quartiers emblématiques de Paris. Et veut nous faire part de cette heureuse initiative, pas seulement à République, mais aussi à Opéra, Montparnasse, Pigalle et dehors, dans des quartiers ciblés, quelle chance ils ont !

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Sciences et avenir

L’été s’achève, et avec lui sa moisson de nouvelles, d’étonnements et de trouvailles, à l’ombre des grands arbres  étendant leur ombre fraîche sur la canicule. Une découverte surprenante  est apparue au mois d’août dans un journal très observateur : les plus de 60 ans  aiment aussi ! « Laurence  a rencontré Kirk il y a cinq mois et quand elle parle du couple qu’ils forment désormais, elle dit que c’est « une passion ». Elle a 66 ans, il en a 70 ».
Bam !!!!  Incroyable mais vrai !  Les seniors se rencontrent, tombent amoureux et en redemandent ! C’est bien simple, « C’est complètement magnétique entre lui et moi. Comme deux aimants, c’est irrésistible (…).  Il me touche, je suis électrique des pieds à la tête ».
Elle n’exagère pas un peu Laurence ? Ou Jeanine, ou Brigitte, ou Maryse, de toute façon les prénoms ont été changés. Non, elle est  amoureuse et ce n’est pas du tout platonique. Ah bon ? On peut encore penser à ça à cet âge-là ? Vite, une interview  s’impose! D’où il ressort que la vision de la photo de Kirk a produit  un flash immédiat sur Laurence, réciproque heureusement. Qu’ils aiment le même vin, ont vécu des  histoires semblables, ont les mêmes goûts et s’en émerveillent, bref, ils s’aiment, à tel point que Kirk a dit à Laurence : « N’aie pas peur que l’on s’aime trop, c’est un amour éternel qui commence ».
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Dans une rue de Pantin, juillet 2018

Tu dois aimer ça, la chaleur, toi qui es d‘origine espagnole ? Ben non, c’est pas génétique, en plus des fois il fait froid en Espagne, il pleut, en somme il y a des saisons. La sieste n’est pas l’activité la plus notable des Espagnols, qui comme partout en Europe se débattent dans des questions d’appartenance, d’accueil, de fermeture, de chômage, de spéculation immobilière, de violences en tous genres.  Et vivent et luttent et essaient d’avancer malgré les embûches. Du banal en quelque sorte. Mais l’Espagne fut longtemps pour les autres le pays des vacances,  de la sieste à l’ombre des palmiers de la Costa Brava et des belles étrangères  qui se pâment d’aise devant la muleta.
La publicité nous assigne des rôles en carton-pâte : les Italiens dragueurs, les Anglais pince-sans-rire, les Français et leur baguette-croissant au son de l’accordéon, les Allemands organisés, les Suisses tout propres et les Espagnols qui font la sieste. Paysages de carte postale pour personnages en papier mâché, oui, j’ai des origines espagnoles, non j’aime pas les fortes chaleurs, non c’est pas bizarre, c’est juste que je préfère quand il fait vingt-cinq degrés plutôt que trente, quoi.

Allez, bon mois d’août, on se retrouve début septembre !

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Il entre dans le wagon, son téléphone à l’oreille : un bon moment Nadine,  oui, un très bon moment. On dirait un jeune garçon un peu grandi, avec son bermuda et ses chaussettes blanches qui montent haut au-dessus des baskets, le visage rond tout rose du plaisir du bon moment avec Nadine. Meetic ? EDarling ? Disons demain ? Non, il a moins de cinquante ans le veinard.

Il gambade dans sa tête au milieu du wagon, près de la barre centrale, et en oublie les gens autour, seul au monde dans ce wagon de métro surchauffé. Je t’appelle demain Nadine, passe une bonne nuit, à demain, oui c’est ça, à demain, bonne nuit, bonne nuit. Il sourit à ce lendemain qui chante déjà.

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Soir du 14 juillet 2018, Paris. À la fin du concert de musique classique de l’orchestre de Radio France, la voix de Stéphane Bern nous invite à chanter la Marseillaise pour soutenir les Bleus (si j’ai bien compris). Le feu d’artifice déploie sa magnificence le long de la tour Eiffel, avec effets spéciaux, petits cœurs roses et chansons d’amour. La foule se disperse, repue de tant d’émotions. Enfin elle essaie. Nous sommes des dizaines de milliers à piétiner pour sortir du Champ de Mars. Rapidement, des plus  malins escaladent deux barrières censées empêcher l’accès à un chantier ouvert près de l’École Militaire. Tant pis si les massifs  de fleurs sont foulés aux pieds. Les bouches de métro Latour Maubourg et École Militaire sont bloquées par des voyageurs à l’arrêt dans l’escalier extérieur. Nous poussons jusqu’aux Invalides, puis vers Concorde et Louvre Rivoli. Les marcheurs sont moins nombreux  et n’occupent plus le centre de la rue. Nous tentons de prendre le métro, ligne 1 direction  Hôtel de Ville. À deux reprises, la porte du wagon bondé s’ouvre, des gens en sortent en trombe, d’autres tentent d’y entrer, ce n’est même pas une bousculade, juste un corps à corps collectif statique et sans issue. Une femme essaie de récupérer sa fille qui s’est imprudemment glissée à l’intérieur, les portes se referment sur ses bras, des mains les maintiennent entrouvertes pour qu’elle puisse extirper la gamine de la masse des voyageurs, mais elle les prend quand même sur les épaules. Elle hurle en espagnol : Me hace daño ! en se frottant les bras. Son mari et ses deux enfants l’entourent sur le quai, ils s’éloignent vers une autre ligne.

Nous partons vers la ligne 7, qui nous amènera à Châtelet. Là, moins de monde, mais une toute petite fille a les pieds coincés dans la porte au moment où elle se ferme. Des mains ouvrent la porte, on dégage l’enfant qui hurle. Sa mère passe tout le trajet à lui embrasser les pieds. Je les vois de dos, les pieds de la fillette contre la bouche de la mère, éperdue.

 

 

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Un soir à 22 h, métro parisien, station République. Un homme jeune, accompagné d’une femme de son âge, en accoste un autre qui vient en sens inverse : Il y a des contrôleurs ? L’autre répond Non et passe son chemin. Le couple reprend sa route, visiblement inquiet. Nous descendons en même temps l’escalier qui mène vers le quai de la ligne 11. Les contrôleurs sont là, dans le couloir, en costume kaki, avec des agents RATP au dos traversé du mot « sûreté ». Le jeune homme s’arrête brusquement, attrape sa compagne par le bras, ils reculent. Trop tard, les agents les ont vus, ils s’approchent. Les deux voyageurs se figent. Est-ce qu’ils surjouent, ont-ils autre chose à cacher que l’absence de ticket ? D’ordinaire, dans ce genre de situation, beaucoup essaient de parlementer mais ne prennent pas cet air de panique horrifiée. Pour ces deux-là, l’enjeu paraît majeur, trop d’amendes déjà peut-être, trop de déveine, un rendez-vous qui pourrait changer leur vie et qu’ils vont rater à cause du contrôle ? Brusquement, un drame inconnu dans ce couloir plutôt paisible.