L’interlocutrice, Geneviève Peigné, Le Nouvel Attila, 2015
Comment rendre leur dignité aux dernières années de la vie de ceux qui nous ont donné le jour ? Comment parler de la dégradation des facultés mentales sans tomber dans le pathos, la description de la déchéance, la compassion ? Et comment se consoler du temps qui passe et des liens défaits ?
L’interlocutrice, le livre de Geneviève Peigné, dont elle dit que sa mère, Odette, est co-auteure, tente de répondre à ces questions. Odette aimait lire des polars. À la fin de sa vie, elle a intercalé entre les lignes des livres d’Exbrayat, Agatha Christie, Simenon et d’autres ses propres réponses aux phrases des dialogues, ses commentaires aussi sur les pages de titre. Sa fille retrouve les livres après sa mort et les lit comme des trésors, fenêtres ouvertes sur la lutte de sa mère pour survivre avec une pensée qui se désarticule.
Ce livre raconte un combat contre la maladie. Non, il n’est pas vide, le cerveau de ceux qui ont « l’Alz » et qui aujourd’hui survivent longtemps après l’apparition des premiers symptômes. Oui, ils essayent, envers et contre tout, de poursuivre ce qu’ils faisaient quand leur tête ne les trahissait pas. Odette s’est battue, toute seule, pour continuer à exister comme un être pensant, lisant. Elle a fait ce qu’elle a pu, pas grand-chose si l’on se situe du côté de la normalité, formidable effort si on considère sa maladie.
Ce livre est aussi un livre d’amour, comme on le dirait d’une lettre d’amour. Qui d’autre qu’un fils ou une fille aimant pourrait prêter attention à ces griffonnages, les lire, les relire, les classer, se pencher sur ces ultimes signes d’intelligence, les mettre en valeur, écrire : Ma mère était un écrivain ? Jusqu’à adopter le style syncopé, les phrases courtes, parfois sans verbe, les ruptures de ton, comme pour se mettre au diapason de la pensée qui résiste encore. Un Je t’aime au-delà de la mort.