Un soir de septembre, dans le métro parisien, au départ de Châtelet. La voiture est pleine de voyageurs. Un jeune homme, debout, demande d’une voix avinée à un autre, assis à côté de moi du côté de l’allée centrale, de se lever. Je suis âgé, dit-il, laisse-moi m’asseoir. Le jeune assis ne réagit pas. Tu as des écouteurs ? reprend la voix pâteuse, tout près du siège convoité. Je suis âgé, laisse-moi m’asseoir. Personne ne bouge autour du toxico, formant un mur de silence, comme pour contenir ses paroles. Je suis aux aguets.
Fin août sur la ligne de TGV Paris Barcelone. Le train s’arrête en gare de Valence. Une bouffée de chaleur entre dans la voiture avec les voyageurs. Parmi eux, trois ados sans bagages qui s’engouffrent dans les toilettes. Un. Deux. Trois. Le dernier entré tire le verrou de la porte. Moi qui voulais utiliser ces toilettes pour leur destination première, je suis marron. Et interloquée. Qu’est-ce qu’ils ont voulu faire, en s’entassant ainsi dans même pas un mètre carré ?
Mon jardin est plein de mauvaises herbes. Elles y arrivent toutes seules, graines soufflées par le vent, apportées par les oiseaux, nichées en douce dans la terre.
Boutons d’or, graminées en tous genres, délicates aigrettes des pissenlits frémissant au souffle de l’air, liserons blancs enroulés autour de la clôture, petites plantes sans nom qui se fraient un chemin sur le sol sec et argileux…
Voletant autour d’elles, des papillons, des abeilles ; au sol, des fourmis, des coccinelles, des limaces et des escargots cachés sous les feuilles et ces drôles d’insectes appelés gendarmes, avec leur armure rouge et noir.
Métro parisien, en semaine, 9 heures du matin, ligne 11. L’heure de pointe est passée, on respire.
Je suis assise sur un siège d’un côté du wagon. À côté de moi, une jeune femme s’adresse à voix basse à une autre, assise sur la rangée qui nous fait face. Elles sont toutes les deux blanches et brunes de cheveux, habillées du même jean et d’une veste en toile. Le rythme régulier de leurs propos tranche avec les conversations habituelles des voyageurs.
« Béatrice, encore dissipée ! Va au coin ! Martine et Sylvie, vous copierez cinquante fois pour demain : « Je ne bavarde pas avec mes camarades pendant la leçon ! ». Béatrice baisse le nez, vexée de rester au piquet quand la classe sort en récréation. Martine et Sylvie voient s’envoler leur paisible goûter à la maison, elles devront en outre supporter les réflexions aigres-douces de leurs parents : « Tu ne peux pas te tenir tranquille à la fin ! Tu es privée de dessert pour la peine ! ».
Nous autres, les élèves sages ce jour-là, nous gloussons d’être passées entre les gouttes et ne prêtons guère attention aux trois ou quatre punies de la journée. Nous sommes à la fin des années 50, dans l’école primaire d’un lycée de filles public de la banlieue ouest de Paris. J’ai neuf ans.






Delphine
J’ai neuf ans. Un matin d’avril 1961, ma mère entre dans ma chambre pour me réveiller. Les généraux ont été arrêtés !*, me dit-elle avec un grand sourire. Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire mais visiblement, c’est une bonne nouvelle. Mes parents et moi ne parlons pas de politique, je suis trop jeune pour ça. Mais depuis quelque temps, l’ambiance est tendue à la maison, comme une épaisseur particulière dans l’air. De même dans tout le pays. J’ignore à ce moment-là ce qu’il se passe en Algérie, je serai renseignée bien plus tard sur la réalité des choses.
On parle d’attentats. Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais je perçois une force violente, massive, explosive. Le mot attentat est un bloc, je l’imagine flottant dans les airs, prêt à fondre sur nous.