Grève en décembre

En ce jour de grève générale des transports, j’ai retrouvé un texte que j’avais écrit en décembre 1995, lors de la grève qui avait fait reculer le gouvernement d’Alain Juppé sur la réforme des retraites et de la Sécurité sociale. J’étais à l’époque formatrice et chercheure dans un institut régional de travail social situé en banlieue sud de Paris, assez loin de mon domicile.
Extrait :
« Mobilité, rapidité, ponctualité : les maîtres mots de notre époque se trouvent battus en brèche. Mobilité ? On ne bouge plus. Rapidité ? Les voitures bloquent tous les jours le périphérique, les boulevards extérieurs, les rues, les trottoirs. Ponctualité ? Arriver en retard devient normal. On s’appelle quand on arrive… On verra bien.
Tout était urgent avant la grève. Urgent de faire une formation en décembre, urgent d’intervenir auprès d’animateurs, urgent de boucler un rapport de recherche. Tout a été reporté. L’urgence d’avant a perdu son sens, celle d’aujourd’hui étant dans le transport quotidien, à pied, à vélo, en stop ou en voiture. Pendant ces trois semaines, j’ai eu du temps. Le temps de m’occuper de ma fille, de rêvasser devant la télé, de parler avec mes collègues, de préparer des cours que d’ailleurs je n’ai pas donnés puisque j’étais en grève.
M’est venue l’idée que tout cela est vain, que courir comme nous le faisions il y a encore deux mois ne rime à rien, sinon à aller droit dans le mur. Certains travaillent trop, accumulant les activités, d’autres ne travaillent pas assez ou ne travaillent plus et meurent à petit feu de se sentir inutiles au monde. À quand le partage du travail, hors de ce système où les uns s’épuisent et les autres s’étiolent ?
À force de parler du « déclin de la valeur travail », nos dirigeants ont oublié qu’il y avait des conducteurs dans les trains, des agents de tri dans les centres postaux, des professeurs dans les écoles et des infirmiers dans les hôpitaux. Des gens en somme. »

Vingt-quatre ans après, j’ajouterai : nos dirigeants ont oublié qu’il y avait des pauvres allongés dans les rues des grandes villes et des ronds-points en pleine campagne. Reste que depuis 1995, les uns ont continué à courir et les autres à faire du sur-place. Le travail est toujours aussi mal réparti et la précarité s’est développée. Des gens dorment sous des tentes aux portes de Paris, tout s’est durci et aiguisé, comme le froid qui annonce l’hiver.