Retraite
À la caisse du supermarché, une petite dame, 65 ans peut-être, cheveux gris en queue-de-cheval, place ses achats sur le tapis roulant de la caisse. Elle a posé tant bien que mal sa béquille à côté de ses courses. Elle la retire ensuite et met les produits dans son caddie : pâtes, riz, sucre, œufs, pain, quelques yaourts. Elle se penche à chaque fois pour les déposer et se redresse avec difficulté.
La dame met du temps à ranger ses courses et ralentit la file d’attente. Elle se redresse et nos regards se croisent. Elle a un doux sourire qui la rajeunit. Elle me fait penser à Gervaise dans l’Assommoir*, avant la chute finale. « Excusez-moi » dit-elle. Sourire de ma part : « Pas de problème, prenez votre temps ». Nous sommes toutes les deux retraitées mais sans doute pas logées à la même enseigne, ni au même endroit.
Des personnes comme elle, j’en croise tous les jours dans ma ville, comptant sou à sou leur minuscule retraite, marchant à petit pas sur les trottoirs accidentés. Des vies au minimum vieillesse.
On les appelait dans le temps les vieux travailleurs, rescapés d’une vie d’ouvrier, de femme de ménage, de domestique, de journalier agricole. Des vies de labeur incessant où le travail n’était que lutte, effort et fatigue. Il y a un siècle, avant les lois sur la retraite, leurs enfants, devenant leurs « bâtons de vieillesse », les prenaient chez eux pour qu’ils ne finissent pas jours à l’hospice. C’est maman Coupeau de l’Assommoir, recueillie par Gervaise car elle ne peut plus faire de ménages après une vie de giletière.
Les retraités moins infortunés, qui ont pu arrêter à temps une vie professionnelle plutôt gratifiante pour vivre assez longtemps en bonne santé, sont toujours actifs. Ils animent des associations de tous ordres, gardent leurs petits-enfants, donnent des cours, accompagnent leurs très vieux parents, font du sport, alimentent le marché des sorties culturelles et des voyages. Ils peignent des tableaux, écrivent des livres, tiennent des blogs, organisent des spectacles… Une armée de personnes âgées valides tisse des milliers de liens sociaux sans lesquels la vie en commun serait froide, pleine de trous, désespérante.
L’or gris, comme le nomment les spécialistes en marketing, ce n’est pas seulement le gibier des voyages organisés. Ce sont aussi toutes ces actions, invisibles et indispensables.
À jeter, n’est-ce pas ?
*L’Assommoir, Émile Zola, 1877.
On dit souvent qu’on a l’âge de ses artères ; c’est vrai aussi de ses articulations et de son cœur. Et selon les individus et la vie que l’on a eue, cet âge peut être ressenti de différentes manières et on peut se sentir vieux à 50 ans. Mais ce qui est sûr c’est que les travaux pénibles ou une vie précaire fragilisent le corps et rendent l’espérance de vie plus courte. Non, le travail (tripalium en latin est un instrument de torture) ce n’est pas toujours la santé !
Il faudrait trouver des mots différents pour nommer le travail comme peine et le travail comme source d’accomplissement. On dit d’ailleurs « être à la peine » pour parler de pénibilité. Finalement le travail combine les deux, à doses différentes selon les cas : beaucoup de peine ou beaucoup de plaisir ! L’avantage de la retraite, quand elle se passe dans de bonnes conditions, c’est que l’on peut « travailler’ sans la pression de la rentabilité ou la contrainte exercée par un employeur ou un supérieur hiérarchique. C’est un grand soulagement !
Bonne réflexion sur l’inégalité face au travail qui se répercute sur celle dans la retraite ! Elle vient souvent de l’inégalité sociale, mais aussi de l’inégalité de chance au démarrage dans la vie.
Je vis dans une petite ville universitaire où je vois plus souvent des jeunes que des personnes âgées. Avant-hier, j’ai vu une jeune femme étrangère qui, au moment de régler quelques courses au supermarché, a dû reposer un litre de lait faute d’avoir assez pour tout payer. La femme d’âge certain qui se trouvait derrière elle dans la queue, juste devant moi, a réglé le lait et l’a donné à la jeune femme. Cette dernière ne voulait pas le recevoir, puis a fini par l’accepter avant de vite quitter les lieux. La généreuse cliente ne s’est pas davantage attardée, et j’ai eu l’impression d’être la seule en plus de la caissière a apprécier ce geste.
Le geste solidaire de cette dame et le départ rapide de la jeune femme en disent long sur la honte d’être pauvre et la difficulté à venir en aide aux personnes « dans le besoin ».
C’est une chaîne qui commence avec la corbeille de naissance, plus ou moins pleine, et continue ensuite selon les aléas, les ruptures, les rencontres bonnes ou mauvaises… Bien des personnes sont enfermées dans des spirales dont elles ne peuvent sortir !