Entre chien et loup

Pavellllllll Pixabay

Promenade à Biarritz, un jour de septembre ensoleillé, entre deux films du festival Biarritz Amérique latine. La ville est impeccable, boutiques de macarons, de chocolats ou de vêtements chics, consommateurs bien nourris aux terrasses des cafés. Pas un papier par terre, pas une feuille morte qui traîne, pas un pauvre tendant la main au coin des rues. La Grande Plage est ratissée tous les jours, les surfeurs planent sur les vagues féroces de l’océan en combinaisons luisantes.
Je suis toute déshabituée, j’ai perdu mes repères. Pourtant je la connais bien cette ville, j’y ai passé tous les étés de mon enfance. Ça me fait le coup à chaque fois, cette distance dans la familiarité. C’est que j’habite une ville avec papiers par terre, feuilles mortes au vent et pauvres qui tendent la main.

Devant moi, une femme remonte l’avenue de Verdun. Elle tient en laisse un… canidé.
Grand, élancé, haut sur pattes, il avance d’un pas chaloupé, ondulant. Des pattes arrière très fines, coudées, dressées sur les griffes. Une robe gris et beige, le museau effilé, les oreilles pointues, dressées. Un… loup ? À Biarritz ?? Je pose la question.
– C’est un loup ?
– Non, un chien-loup tchèque, c’est un croisement entre un loup et un berger allemand, avant on les croisait avec des loups des Carpates.

Des loups des Carpates. J’imagine une forêt profonde, et dedans, l’animal furtif, altier, surveillant son domaine, à l’affût d’une proie. Rencontrant un berger allemand ou une bergère allemande, c’est selon. Fabriquant avec elle (ou lui) un chien-loup. Qui se retrouve avenue de Verdun, à Biarritz, sanglé dans un harnais tiré par sa maîtresse. Certes, l’animal a un peu du chien, mais si peu… Rien à voir avec les ravissants toutous, caniches pomponnés ou lévriers brossés-lustrés qui trottinent dans la ville.

Non, décidément, ça ne colle pas. Biarritz et le loup-chien ne vont pas ensemble. Celui-là est sauvagement différent des autres. Il vient d’un au-delà de l’humanité et de ses satellites animaliers.

À l’approche d’un passant, la bête pousse un bref jappement, un léger cri, en le fixant âprement. Sa maîtresse tire sur le harnais et dit : « Il est fatigué, on va rentrer ». Fatigué ? Non, plutôt lassé sans doute du harnais, de la rue, de la ville. Les pattes anxieuses de fouler la terre, la truffe cherchant l’odeur des feuilles mortes et des proies fuyant dans le sous-bois. Toutes choses dont il est à jamais privé, mais les quelques gouttes de sang berger allemand qui coulent dans ses veines ne parviennent pas à les lui faire oublier, même s’il ne les a jamais connues.

Que fais-tu là, descendant du loup des Carpates, les griffes sur le bitume, longeant les boutiques de souvenirs chics et de vêtements en lin ? Harnaché par une humaine qui a dû payer fort cher ton acquisition ? Privé de ta noble sauvagerie surgissant des mouvements de ton corps fauve ? Je n’ai pu échanger un regard avec toi ni te photographier, juste emporter ton animalité vaincue dans mon souvenir.

Et souhaiter que ta revanche ne soit pas trop sanglante, si elle explose un jour au regard des humains.

Pexel Pixabay

7 réponses
  1. alexandre CAZERES dit :

    Quelle chance Maryse a été la tienne de croiser dans cette ville phare du Pays basque proprette, un canidé comme tu dis, propre lui aussi sur lui ! Vraie cohérence des choix de cette propriétaire soucieuse des pures origines animales ! Il est vrai que notre société prend de plus en plus en compte les animaux, les chérissant même ! Je suis personnellement très admiratif des sommes d’amour déversées sur les trottoirs de la mienne ville, de banlieue parisienne, bien proprette aussi. Sommes d’amour mais aussi d’argent pour acquisition et entretien ! Un lobby s’est crée pour leur défense et leur entretien avec un parti qui présente des candidats aux élections législatives. Trait de société assurément vertueux. Qui tranche radicalement avec l’attitude des paysans, agriculteurs, du village de mon enfance qui étaient plutôt durs avec vaches et bœufs surtout, un peu moins avec les chevaux, les porcs et les volailles !
    « Autre temps , autre mœurs » ; qui me rappelle la scène d’ouverture d’un documentaire vidéo en Bretagne : le vétérinaire dans une ferme aidait au vêlage lorsque son portable sonne dans sa poche. Continuant sa besogne (il tirait la corde qui expulsait le veau nouveau-né), il formulait à son interlocutrice : « D’accord Mme X… pour le toilettage de votre toutou… Tel jour à telle heure ! Nombreux sont ceux qui doivent les jalouser, eux qui sans domicile, fixe ou pas, traînent leur misère par tous les temps !

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    • Maryse Esterle dit :

      En effet, les valeurs sont parfois inversées et les animaux dits « de compagnie » souvent réduits à l’état d’accessoires exotiques. Il n’y a d’ailleurs pas si longtemps que les humains ont des relations quasi uniquement affectives avec les animaux qui partagent leur foyer. Ils avaient auparavant un rôle plus utilitaire et une relation plus distancée avec nous. Autre temps, autres mœurs !

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  2. Lascar dit :

    Cette histoire me semble intéressante à plus d’un titre. D’abord le canidé : mélange de docilité et d’animalité sauvage ; ensuite la ville elle-même de Biarritz qui semble être arrivée à un degré élevé de civilisation humaine (riche, propre, avec boutique de macarons et de vêtements chers) à mettre en regard de ces villes où trainent papiers et mendiants. N’y a-t-il pas en chacun de nous ce mélange de civilité et d’animalité indomptée ? Un peu entre chien et loup nous mêmes.

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    • Maryse Esterle dit :

      Sûrement, d’ailleurs ne dit-on pas « l’homme est un loup pur l’homme », « marcher à pas de loup » et une chanson de Serge Reggiani s’intitule « Les loups sont entrés dans Paris » pour désigner un danger d’invasion mortifère. Allusions à notre animalité plutôt qu’à un réel danger, car les « vrais loups » n’attaquent les humains que très rarement.

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  3. Anonyme dit :

    Bonjour Maryse,
    Merci pour ton dernier article. Je comprends tout à fait ton malaise devant ce faux-loup exilé sur le bitume biarrot, tenu en laisse par sa bourgeoise de maîtresse.
    Je vis maintenant dans le Jura où la cohabitation est de plus en plus difficile entre loup et élevage bovin. Je m’investis dans une association qui veille la nuit sur les vaches et veaux en alpage pour éviter les attaques et faire en sorte que les loups ne soient pas systématiquement abattus. Cette année, les alpages que nous protégeons n’ont pas encore été attaqués, ce qui n’est pas le cas des autres. Beaucoup d’éleveurs ne veulent pas entendre parler du loup et souhaiteraient qu’on les tue tous…
    Quand l’Homme pourra-t-il oublier un peu son nombril et considérer aussi les autres espèces? Le monde sera triste quand il n’y aura plus sur Terre que des humains et des animaux domestiques ou domestiqués…

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    • Maryse Esterle dit :

      J’ai entendu parler ces bénévoles qui tentent d’effaroucher les loups la nuit pour protéger les troupeaux. Il y a aussi des chiens errants (dans les Pyrénées tout au moins), qui, semble-t-il, peuvent être source de danger aussi, mais dont on parle beaucoup moins.
      Est-il possible de vivre « en bons voisins » avec les prédateurs des troupeaux, en rémunérant par exemple des personnes chargées de les éloigner, au lieu de vouloir les tuer systématiquement ? Les décisions politiques ne semblent pas aller dans ce sens, alors que les loups jouent un rôle dans la chaîne écologique. Mais vivre en voisin ne veut pas dire se marcher sur les pieds (ou les pattes). Le territoire se partage, il ne s’envahit pas…

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