Une petite fille en hiver
Un restaurant dans une ville portuaire un soir de novembre. Un jeune homme arrive avec une petite fille sans doute née il y a deux ans. Ils s’installent l’un en face de l’autre à une table pour deux personnes, disposée avec d’autres en ligne contre le mur. Le jeune homme commande un menu enfant pour la petite. Elle patouille sa viande hachée et frotte les frites contre la table.
Pendant ce temps, son père téléphone ou passe des SMS. Il raccroche souvent, décroche ensuite, tiens bizarre, pourquoi utilise-t-il ainsi son portable au lieu de s’occuper de sa fille ? Encore un téléphone addict ?
Entre une jeune femme dans le restaurant, elle ressemble tellement à la petite fille, c’est sûrement sa mère. Elle s’assied à une table qui fait le coin du mur, au bout de la rangée où sont assis le père et sa fille. Mais viens près de nous murmure-t-il. Un silence glacé lui répond. La petite fille se lève et va s’asseoir sur les genoux de sa mère. Celle-ci ne lui parle pas et regarde droit devant elle. Resté seul à sa table, le jeune homme va s’asseoir près d’elles, sans un mot non plus. Ils ont tous les deux le visage gris. Celui de la mère exprime une haine de pierre, celui du père une consternation fatiguée. La petite fille n’a plus rien à manger devant elle, elle ne bouge pas sur les genoux de sa mère.
On dit que nous ne gardons pas les souvenirs avant trois ans, peut-être cette petite fille oubliera-t-elle ce moment ? Ou détestera-t-elle les restaurants sans savoir pourquoi ? Ou hurlera-t-elle soudain quand une amie lui manifestera un peu d’indifférence ? Ou serrera-t-elle son enfant dans ses bras au moindre pleur en réprimant des sanglots inconnus ?