Sombre métro
Un soir de novembre, ligne 1 du métro parisien. Pas trop de monde dans la rame, quelques personnes masquées. Soudain le métro s’arrête entre deux stations. Les lumières s’éteignent, relayées par l’éclairage de secours. Les passagers se regardent, un peu interrogateurs. Personne ne parle. Une annonce au micro nous invite à ne pas tenter de descendre sur la voie, le métro va bientôt repartir. L’instant se prolonge.
Je suis assise sur un strapontin. Dans le carré derrière moi, agitation, cris, voix d’homme. Un grand jeune homme assis du côté de l’allée esquive un poing tendu vers lui. Celui d’un plus petit assis en face. Rugissement : « Tu m’as regardé ! Tu me cherches ! ». « Non, je ne te cherche pas. » répond le grand. Son corps se penche vers la fenêtre, les mains ouvertes au bout des bras tendus, mettant à distance les poings rageurs de l’autre.
Silence autour. Le jeune furieux, aussi petit que son supposé adversaire est grand, poursuit son cauchemar intérieur. Il se lève, trépigne, penché sur l’autre, rage à la bouche, main levée. Une claque atteint le cou du grand.
« Et y en assez, comment vous parlez des musulmans ! », hurle le petit. « Mais on n’a rien dit ! » répond le grand. Il repousse toujours les attaques sans perdre son calme. Un homme plus âgé se penche vers le jeune frénétique : « Mais non, allez, tout va bien ».
La scène me fait penser à deux hommes, il y a quelques années, dans une rame de métro, calmant un agité qui parlait à tort et à travers, interpellait les femmes, limite de la grossièreté. Autour de lui, les autres passagers restaient muets, ne sachant que faire. Les deux hommes parlèrent calmement au bavard dans une langue partagée, avec un phrasé rassurant. Il se calma peu à peu et finit par descendre à une station en souriant, apaisé.
Ce soir, c’est plus sérieux, un coup peut partir, une arme sortir d’une manche. La fureur de l’attaquant est puissante. Les protagonistes ne sont pas des ados*, la folie survole la scène. Mais la sagesse rôde aussi dans cette rame de métro : « Allez, tout va bien, personne ne t’en veut ».
Miraculeusement, les lumières se rallument et le métro repart. Fin de la violence crépusculaire, le sort de la mauvaise fée est levé. Les passagers sortent de leur immobilité et retournent à leurs conversations. Le petit bonhomme trépigne encore un peu mais personne ne veut se battre avec lui. Le Joker a perdu son masque de clown maléfique, une indifférence parisienne l’entoure.
Le grand calme et le petit frénétique descendent à la même station mais ne prennent pas la même sortie. Leurs chemins se séparent sur le quai. La foule engloutit leurs pas.
Le sang ne coulera pas ce soir sous la ville.
*Cf. Mon billet « Vol d’oiseaux » d’avril 2021.
Merci Maryse pour cette chronique et cette tranche de vie saisie sur le vif dans le métro. Ce matin dans une rame (également un jour férié, jour d’armistice) un homme en situation précaire parcourt le wagon et demande un peu d’aide. La quasi totalité des voyageurs est en état d’hyper connexion : écouteurs enfoncés dans les oreilles, regard hypnotisé par l’écran bleu, pouces qui s’agitent frénétiquement sur l’écran. Personne ne lève les yeux, personne ne l’entend. Je lui souhaite bon courage à la station République.
Scène terrible en effet, et tellement courante. J’ai assisté à des épisodes du même genre. Les pauvres sont invisibles. Il faut qu’il y ait du tapage pour qu’une réaction apparaisse ! Et pas seulement dans le métro…
Dans la monotonie bruyante du métro parisien il y a parfois des scènes de vie qui en disent long sur la détresse des gens. Que de vies qui se croisent, différentes, étrangères les unes aux autres ! Et la vie continue malgré tout comme le parcours de la rame….