Poussière
La Très grande bibliothèque est un temple du savoir, une cathédrale laïque de connaissances accumulées, Il y règne un silence doré comme le bois des tables et la lumière qui passe à travers les hautes baies vitrées.
J’ai demandé à consulter les numéros de 1936 du Courrier de La Plata, journal en français destiné aux immigrés de France en Argentine. Je ne peux consulter que l’année 1936, les journaux des autres années étant « dans un état qui ne permet pas leur consultation ».
L’agent m’apporte un grand carton que j’ouvre avec componction. L’année 1936 apparaît sous mes yeux, je vais découvrir ce que lisaient les Français d’Argentine il y a quatre-vingt-trois ans, qué emocionante ! Le journal est grand comme Le Monde aujourd’hui, et à sentir l’odeur sèche qui s’élève des pages, je me demande s’il est souvent consulté. Je ne me le demande pas longtemps d’ailleurs car je commence à éternuer, sous le regard surpris puis silencieusement courroucé des autres consultants. En plus je ne fais pas que ça, je tousse aussi, mes yeux larmoient, bref je suis allergique au Courrier de La Plata. Tout en me mouchant, ce qui rajoute une couche de désagrément aux perturbations que je provoque, je repère une rubrique accrocheuse : « Les livres qu’il faut lire ». Le petit d’Agrello de Gaston Cherau, La chute d’Icare d’Edmond Jaloux, Le laurier d’Apollon de Maurice Bedel. Trois auteurs un peu oubliés aujourd’hui mais qui faisaient l’actualité de l’époque. Qui se souviendra demain des littérateurs les plus en vue des années 2010 ?
Le carton refermé, le temple du savoir retrouve sa quiétude et les vedettes du livre d’hier leur sommeil. La prochaine fois je viendrai avec un antihistaminique.