Lointain travail
Il paraît que le télétravail c’est formidable. Plus de trajets, chacun son rythme, pas de risque de contamination.
Pendant quatorze ans, j’ai enseigné à l’Institut universitaire de formation des maîtres du Nord Pas-de-Calais. Plusieurs fois par semaine, je partais de Paris très tôt le matin et j’arrivais déjà fatiguée pour donner mon premier cours de la journée. Je dormais comme une souche dans le TGV qui me ramenait chez moi le soir. Pourtant, avant qu’une réforme vienne balayer le travail d’équipe et les formations que nous avions patiemment construites au fil des années, j’entrais avec plaisir dans les locaux de l’ancienne école normale d’Arras. Je savais que j’allais y retrouver mes collègues. *
Je me souviens des grandes tablées de formateurs qui riaient des lubies du directeur de l’époque, des perles des étudiants ou des derniers potins de la boîte. Quelquefois, on partageait nos repas avec les secrétaires et les agents de maintenance qui lançaient des tirades syndicalistes contre la dégradation des conditions de travail, avec l’accent du ch’Nord. Tout cela faisait une ambiance, un ensemble, une chaleur. Des groupes d’étudiants nous saluaient au passage en allant déposer leurs plateaux sur le tapis roulant, à côté du self.
Je me souviens des quelques mots entre profs autour de la machine à café, dans le hall du bâtiment de l’amphithéâtre, entre deux cours.
– Tu prends quoi ?
– Une noisette.
– Moi aussi, y a que ça de bon.
– Ouais la noisette ça sent la noisette et c’est sucré.
– C’est vrai, c’est sucré, par contre le café tout seul il est pas bon, il a pas de goût.
– Non, c’est sûr, c’est de la flotte.
– J’ai encore deux heures et toi ?
– Moi aussi.
– Et toi ?
– Oui, moi aussi.
– Bon, on se voit à midi après ?
– OK, on mange ensemble.
Les étudiants nous regardaient de loin, ils devaient s’imaginer qu’on échangeait sur des concepts. Petits moments de soudure entre deux cours, confraternité et café noisette. Pas des amis, pas des copains, des collègues. Irremplaçable.
* Ces lignes sont pour partie extraites de mon ouvrage « Où va la formation des enseignants ? », Paris, Éditions Petra, 2017.
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Ces échanges permettaient-ils le réel travail de groupe ? Peut-être, Ils permettaient au moins de se connaitre et de se découvrir des affinités (ou pas)
Le télétravaiil est à la mode (comme d’habitude, les journaux en parlent maintenant alors qu’il existe depuis au moins 30 ans. Mais il se généralise et on voit bien que l’étape suivante l’on nous proposera : tous à notre compte, chez nous, en « entreprise individuelle », nous paierons les charges, les formations nécessaires (et l’entretien et réparation du matériel), nous ne fonderons pas de syndicats,… et nous aurons un « contrat » de quelques jours ou mois, voire de quelques heures (qui peut fournir un conférence sur xxx, le moins disant sera retenu) ? C’est une vraie révolution le « télétravail ».
Gardons le moral !
Ou, c’est bien ce qui nous attend, un émiettement du travail, des relations, et des frais ! Avec entre autres une rentrée universitaire en « distanciel », alors que le contact entre enseignants et étudiants est lui aussi irremplaçable !
Oui, gardons l’énergie !
Des fois, souvent, je me dis que la retraite m’a fait échapper à tout ce qui vient. Le travail dénué de lien social c’est triste, inhumain ; le monde sans collègues, sans petits ragots, sans la machine à café, sans les histoires des uns et des autres. Joëlle fatiguée le matin de n’avoir pas dormi assez et à qui on dit quelques mots car elle a passé la soirée toute seule ; Jacqueline qui se repoudre en arrivant, très attentive au regard de l’autre, Bernard qui délire des propos incohérents et qui retourne travailler en râlant, André qui passe sans avoir rien à dire, juste pour s’assurer qu’on est bien là ! Sans eux : rien ; juste des dossiers, des traitements de texte, des programmes ! Télétravail ! Par pitié, non !
Au XVIIIe, et au XIXe, les femmes de la campagne, mais aussi des villes (à Arras beaucoup vivaient dans les caves des places célèbres), travaillaient chez elles à la dentelle ou au filage. Les employeurs s’évitaient ainsi d’investir, payaient à la pièce, et s’évitaient aussi les conflits sociaux.
Et les femmes de la campagne travaillaient à la maigre ferme du ménage, gardaient les bêtes, s’occupaient du ménage et des gosses et pour quelques sols ou francs s’usaient les yeux au tissage ou à la dentelle. En télétravail en quelque sorte.
Oui, merci de rappeler que rien n’est nouveau sous le soleil, avant on appelait cela « le travail à domicile « . La dénomination a changé, mais les risques restent les mêmes et les contacts entre salariés restent précieux pour « faire groupe » dans une entreprise.
De longue date, l’amertume de la chicorée m’est plus agréable que les saveurs sucrées des boissons chaudes à la noisette. C’est pour pouvoir m’en préparer et les savourer à chaque pause que sitôt arrivé à l’ IUFM, j’ai installé une bouilloire électrique dans mon bureau.
J’y dispose d’ailleurs aussi d’une jolie collection de mugs qui permettent de me distinguer au milieu de mes collègues qui, peu soucieux de leur impact carbone, boivent café ou noisette dans des gobelets qui quoique désormais en carton, terminent tous à la poubelle aussitôt vidés. La durée de vie d’un gobelet se compte en secondes, au mieux en minutes si les lèvres de celui ou de celle qui l’a en main alternent la boisson avec le mégot – tout autant condamnable du point de vue écologique- d’une cigarette.
Tu m’avais annoncé par téléphone pendant le confinement l’imminence de ton nouveau blog et un mail automatique m’a indiqué la semaine dernière la parution de ce premier article.
Présageant de ce que j’allais y trouver, j’ ai souhaité, pour les découvrir, attendre que pour moi aussi le travail soit lointain.
Nous sommes le 15 juillet, je me suis levé à …, j’ai nagé une heure à la piscine, ai téléchargé une nouvelle application qui me permet désormais de nommer les plantes croisées sur mon chemin ou installées dans mon jardin. Nous sommes allés au cinéma, bouleversant « été 85 » pour celles ou ceux qui auraient eu un jour à décider de reprendre la barre de leur Calypso.
C’est donc un soir comme celui-ci que j’attendais pour prendre le temps de venir découvrir ton nouveau blog, ton nouvel horizon.
Ces délicieux et chaleureux moments passés entre collègues, aussi fugaces soient-ils, ont ceci de différent avec les gobelets sus-mentionnés, c’est que leur évocation éveille d’ agréables souvenirs et sensations que le temps n’efface pas.
Merci à toi de les faire revenir à la surface et ainsi de me permettre, de nous permettre, de replonger dedans comme on trempe le sucre dans son café avant de le laisser fondre dans la bouche, avec délectation.
Bel été !
Oui Mickaël, ce sont des moments que l’on n’oublie pas. Aujourd’hui nous aurions sans doute des mugs ou des tasses à la main (tu fus un précurseur en ce sens), mais la sensation resterait la même. Les partages de café en visioconférence n’auront jamais le même charme et ne créeront jamais le même lien !
Bel été à toi !
Coucou Maryse,
Je pratique le télé travail qq jours par semaine depuis 10 ans. Je n’y vois pas que des inconvénients : je me passe parfois tręs bien du trajet long, du bruit de l’Open Space, du brouhaha de la cantine, des ragots jalousies et autres chausses trappes…. Cela ne m’empêche pas d’apprécier les jours de bureau avec les collègues sympas et la machine a café
Oui c’est vrai Véronique, l’alternance entre télétravail et activité sur le lieu de travail avec des collègues est sans doute la meilleure formule, L’un repose de l’autre ! Quand on fait de l’enseignement, comme c’était mon cas, c’est très agréable de préparer les cours chez soi et d’aller rencontrer les étudiants et les autres enseignants ensuite. Les deux ont leurs avantages et leur inconvénients, question de dosage !