Brûlants billets

Photo Bruno Germany Pixabay

Décembre 2022, centre-ville. Je rentre chez moi, le caddie plein de courses. Les passants vaquent à leurs occupations. Matinée paisible dans une banlieue calme. Soudain, mon regard est attiré par l’enveloppe que tient dans sa main un homme d’une cinquantaine d’années. Une enveloppe à fenêtre, à travers laquelle on devine une liasse de billets dont le premier est de cinquante euros. L’enveloppe est pliée en deux et entourée d’un élastique. Mon regard remonte jusqu’au visage de l’homme qui me dit :
– Je les ai trouvés par terre.
Mimique interloquée de ma part.
– Qu’est-ce que j’en fais ? Reprend-il.
– Apportez-les au commissariat ?
– Oh ! Non, ils vont les garder pour eux !
– Peut-être, mais ça ne sera plus votre problème.
Le monsieur n’a pas l’air convaincu. Il jette un regard luisant sur les billets.
– Je les garde ? Me demande-t-il.
– Attention quand même, c’est peut-être de l’argent volé, avec des billets numérotés…
Mes années d’éducatrice de rue reviennent en trombe. Argent sale. Règlements de compte. Gosses de dix-huit ans tués pour une poignée de billets. Comme ceux-là.- On partage, vous en voulez la moitié ? Me demande le monsieur.
– Nooon ! Merci mais non !

J’agrémente ma réponse d’un sourire aimable. Mais c’est qui, lui, d’abord ? Un acteur de caméra cachée ? Une retraitée partage avec un inconnu des billets trouvés par terre !! Honte sur moi, gêne de ma famille, trouble de mes amis, ricanements sur les réseaux sociaux… Ou bien c’est l’argent d’un « coup », perdu par un délinquant distrait ou un dealer débutant ? Un vendeur de drogue patibulaire va-t-il me suivre, repérer mon adresse, sonner à ma porte ? Ou  bien des policiers à la recherche d’un magot volé ? Prise au piège !

Tout cela me traverse l’esprit en deux secondes, comme des éclairs de trouille. L’honnêteté est souvent affaire de prudence. La peur du gendarme comme on dit, qui lui-même hésiterait sans doute devant ce dilemme. D’ailleurs cette liasse, que je devine de quelques milliers d’euros, me permettrait de faire réparer ma terrasse, de partir en voyage…

Toujours souriante, je laisse  le passant à son hésitation, en train de palper l’enveloppe avec convoitise. Je rentre chez moi, tranquille. Personne ne me suivra.

Quand même, cette terrasse, elle va me coûter cher…

4 réponses
  1. AUMONT Isabelle dit :

    Quel bon début de nouvelle dont on attendrait la chute avec impatience ! Mais dans la réalité, comment chacun d’entre nous aurait réagi face à cette manne tombée du ciel ? Une terrasse, un voyage, des mets fins chez des chefs étoilés… Et comme tu l’as si finement analysé, la droiture l’emporte, les doutes par rapport à cette liasse, la peur sans aucun doute de représailles, d’une traque. Bravo pour ces quelques lignes !

    • Maryse Esterle dit :

      Merci pour ton commentaire Isabelle. Eh oui, l’honnêteté tient à un fil et la vertu a des motivations.cachées, liées à la balance bénéfice-risque.et non pas à une droiture intrinsèque de la personne. Ainsi sommes-nous faits !

  2. BELAS dit :

    Je ne sais si on doit rendre hommage à ton honnêteté ou rire de ta peur de te faire prendre ! Je ne sais pas personnellement comment j’aurais réagi, mais je crois que j’aurais poussé l’homme en question dans ses retranchements en prenant l’enveloppe pour voir sa réaction ; car comment imaginer que quand on trouve de l’argent par terre on en propose la moitié à la première personne qui passe ? Que cherchait il au juste ? En fait on ne le saura jamais. C’était sans doute un traquenard ! J’en donne mon billet !

    • Maryse Esterle dit :

      En effet, que cherchait-il ? Et cherchait-il quelque chose ? Tester l’auteur de cette étrange proposition est une très bonne idée, mais je ne m’y suis pas risquée. J’ai préféré laisser le mystère en l’état !

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