Les blouses
Il y a comme un petit retour vers le passé à l’école aujourd’hui, voilà que l’on reparle des uniformes… Cela m’a fait penser à un texte publié au début des années 2000 dans la revue VEI Diversité, où je parle de ces blouses que nous devions porter jusqu’à la fin des années 1960. J’étais lycéenne dans la banlieue ouest de Paris où régnait encore la ségrégation de genre : deux mille garçons d’un côté de la rue, deux mille filles de l’autre ; deux fausses sociétés qui s’épiaient, sans hommes ou sans femmes.
« Nous portions des blouses roses ou bleues (on disait : c’est la semaine rose ou c’est la semaine bleue) et nous devions dissimuler nos vêtements sous ces blouses. Nous devions les fournir et les entretenir nous-mêmes. Il y avait des boutiques spécialisées où on pouvait en trouver. Quand une fille s’était trompée de semaine, elle était facile à repérer et à sanctionner : une bleue dans une vague de roses, une rose au milieu des bleues.
Les adeptes des blouses disaient qu’ainsi, les filles de condition plus modeste ne se formalisaient pas des vêtements de bonne coupe de leurs camarades plus riches. C’était gentil de penser à ça, où va se nicher la mixité sociale… Dans ce lycée hautement élitiste de Saint-Germain-en-Laye, tout indiquait au plus pauvres (fort rares au demeurant) que les autres avaient eu en naissant ce qu’elles mettraient des années à ne pas acquérir : l’aisance des gestes et des paroles, la bonne nourriture et l’exercice physique qui donnent un corps svelte et un teint léger, la manière de s’asseoir, de se lever, de rire, de plaisanter, de rejeter les cheveux en arrière, de parler des garçons, les lectures et les conversations qu’il faut… le fric, la santé, les réseaux et que sais-je encore ? Tout, en somme, ce qu’un sociologue mondialement connu a appelé la distinction… Quand bien même on aurait été vêtues de robes de bure, un observateur moyennement finaud aurait eu tôt fait de repérer celles qui en étaient et celles qui n’en étaient pas, de ce club fermé aux murs de verre.
Moi je n’en étais pas, étant fille de profs de maths, et pas d’avocat, de notaire ou de médecin, moyennant quoi je n’étais pas invitée aux surboums chics de mes camarades, avec robes longues pour les filles et smokings pour les garçons, et j’en étais très triste. J’avais beau me rattraper en étant meilleure qu’elles en classe, (je m’ennuyais tellement chez moi que je travaillais beaucoup), ça ne compensait pas, non, je n’en étais pas. »
Comme quoi, l’uniforme…
Vous trouverez la suite dans la rubrique Déja sortis, Ma première nuit avec un garçon (tout en bas, c’est le premier texte publié).