Post-vérité
Cnossos, à quelques kilomètres d’Héraklion, en Crète. Le plus célèbre site archéologique de l’île, étagé sur plusieurs niveaux, avec ses palais, ses demeures patriciennes, ses voies pavées. Des colonnes d’un beau rouge sang, noires à leur sommet, soutenant des toits en terrasse. Des fresques d’une étonnante modernité. On en trouve sur les murs des bâtiments et beaucoup au musée d’Héraklion : le prince au lis, des dauphins, trois dames en bleu…
Ne connaissant pas l’histoire du site, nous circulons dans ces ruines avec un léger étonnement : comment des fresques aussi anciennes (1 600 avant J.-C. quand même) ont-elles pu être aussi bien conservées ? Et ces murs, contrairement aux pierres qui s’entassent à leurs pieds, sont-ils consolidés ou reconstruits ?
Rien à voir avec les ruines romaines ou grecques que j’ai pu visiter auparavant, dont l’état initial est suggéré dans des livres de photos, les lieux actuels étant recouverts d’un calque dont une partie reproduit leur état supposé au temps de leur splendeur. Mais personne ne s’est risqué à barbouiller les colonnes des temples ou à peindre des fresques sur les murs après leur découverte.
Où sommes-nous ici ? Sur un site archéologique ou dans un parc d’attractions évoquant la civilisation minoenne nommée ainsi par Arthur Evans ? En creusant un peu, j’apprends que cet archéologue anglais racheta Cnossos au début du XXe siècle et le fit « restaurer » en faisant appel à des peintres qui, à partir de tout petits fragments de fresques murales, se livrèrent à des créations assez proches de l’Art nouveau. Un sculpteur compléta allègrement les morceaux manquant des statuettes des « déesses aux serpents » suivant son inspiration du moment.
Autre étonnement : pas de guerriers, pas de prisonniers représentés sur les poteries ou les sarcophages, aucun signe de violence. Une société pacifiste et prépatriarcale imaginée comme telle par Evans, vision qui plut beaucoup à l’époque. Mais rien n’est moins sûr : des archéologues découvrirent ensuite des armements sophistiqués, voire les traces possibles de sacrifices d’enfants à proximité.
Vertige : tout cela est-il vrai ou faux ? Qu’avons-nous vu d’authentique à Cnossos ? Finalement pas grand-chose, quelques pierres entassées, les traces d’anciennes constructions et une vue magnifique sur la campagne environnante !
Et aussi l’art de l’illusion archéologique…
À chacun sa vérité !
Ces sites, d’archéologiques sont devenus touristiques. On trouve également en Ouzbékistan mais aussi en Egypte et sans doute ailleurs des monuments à la peinture « fraîche ». Faut pas s’étonner de cela : ça plaît à un grand nombre.
Très intéressante chronique ! Merci Maryse !
Merci, Maryse, pour ton article.
Tu m’as fait penser à la cité de Carcassonne… refaite par Violet-le-Duc.
Et qu’est-ce que ça nous fait rêver tout ça!