Quand ma mère est venue au monde, il y a un siècle, elle s’appela Marie Puyou, c’est-à-dire qu’elle porta le prénom que ses parents lui avaient donné et le nom de son père. C’était le cas de tous les enfants de parents mariés à l’époque. Puis elle se maria à son tour et même si légalement elle s’appelait toujours Mademoiselle Marie Puyou, elle devint Madame Fernand Esterle pour ses amis, ses collègues, son employeur et nombre d’administrations. Et comme elle, en se mariant, des millions de femmes perdaient leur prénom d’origine et prenaient celui de Raoul, Gaston, François ou Paul. Leur identité était littéralement effacée par un usage qu’aucune loi ne vint confirmer mais qui s’imposait comme une évidence. La plupart des intéressées en étaient fières et les jeunes filles s’exerçaient à signer du nom de leur futur époux ou de celui avec qui elles convoitaient un mariage. Un vrai rite de passage ce changement de prénom et de nom, d’autant qu’il était accompagné d’un glorieux Madame alors que les célibataires en restaient au piteux Mademoiselle jusqu’à la fin de leurs jours. Certes, elles gardaient leur identité d’origine, mais à part le cas de quelques vaillantes originales ou de femmes reconnues pour leur talent, ce célibat était vu en creux, en moins, en tristesse : elles n’avaient pas trouvé preneur, vieilles filles virtuellement vierges des choses de la vie, seules, sèches et acariâtres, sujettes à des sautes d’humeur supposées propres à leur état.
De l‘eau a coulé sous les ponts depuis cette préhistoire, direz-vous. Vraiment ? En 2005, à l’IUFM* de Douai, sur un panneau réservé aux annonces personnelles dans la salle des formateurs, on pouvait lire ce faire-part de mariage :
Madame Jean Dupont et Madame Philippe Durant** ont le bonheur de vous faire part du mariage de leurs enfants, Stéphanie Dupont et François Durant, qui aura lieu le … à XX.
Des annonces de ce genre étaient régulièrement épinglées sur ce panneau. Et parmi les étudiantes dont je suis aujourd’hui les mémoires, il s’en trouve encore pour me donner une adresse électronique qui commence par Jérémie, Thomas ou Sébastien. Insistance pour qu’elles ouvrent une adresse électronique personnelle et qu’accessoirement je m’y retrouve quand je reçois des mails, car j’accompagne aussi des mémoires écrits par des hommes, qui ne me donnent jamais une adresse électronique commençant par Nathalie, Charlotte ou Virginie.
Petit combat pour grande cause ? Cochon qui s’en dédit !
*Institut universitaire de formation des maîtres.
**Les noms et prénoms ont été modifiés.