Une poignée de marrons

Photo Cocooco -Pixabay

Automne 1996.
« Ça ne s’arrêtera jamais, maman ! » Ma fille s’effondre sur le canapé du salon. Dans la cour de récréation du collège où elle entame son année de 5e, trois garçons de son âge l’ont poursuivie en lui jetant des marrons : « Marron, marron, ta peau elle est marron ! »

Le lendemain, je me présente au collège à la première heure en expliquant l’histoire. Je suis reçue par  la principale adjointe et la conseillère principale d’éducation.

Les trois lanceurs de marrons s’étonnent d’être ainsi convoqués en urgence. « C’est pour quoi cette fois-ci ? » Demande l’un d’entre eux.

En présence de ma fille, ils ne nient pas la poursuite, les marrons. « Ben, c’était pour rigoler ! ». Ils aiment bien leur camarade par ailleurs. Ils ont douze ans. Que signifie le racisme à leur âge ? Pas grand-chose sans doute, pourtant les parents de l’un sont polonais, ceux de l’autre portugais et le troisième est d’ascendance algérienne. Ils ont dû en entendre déjà de belles à ce propos, mais ont-ils fait le lien avec les larmes de leur camarade dans la cour de récréation ?

La principale adjointe et la C.P.E. s’égosillent sur les gamins : « Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? C’est du racisme ! » En aparté, La C.P.E se souvient des réflexions acides à l’énoncé de son nom espagnol, la principale adjointe de son arrivée d’Algérie en métropole, comme on disait dans les années 60, immigrée dans son propre pays.

Je découvre les capacités vocales des personnels de l’Éducation nationale. À n’en pas douter, les élèves rassemblés dans la cour du collège avant le début des cours savent qu’il se passe quelque chose de sérieux dans le bureau de la principale adjointe, le niveau des décibels ne trompe pas.

Lorsque la parole m‘est donnée, je dis aux trois garçons qu’il y a quelques jours, un jeune marseillais de 15 ans, Nicolas Bourgat, a été poignardé à mort par un jeune de son âge et qu’il s’est trouvé des gens très malins pour mettre en cause l’origine maghrébine du meurtrier. C’est simple, non ? Les bons d’un côté, les mauvais de l’autre…

Je dis aux trois gamins que si l’un d’eux était attaqué pour son origine, je le défendrais, parce que tout le monde a le droit d’être respecté pour ce qu’il est, même si on peut lui reprocher ce qu’il fait.

  • Vos grands-parents ne vous ont pas raconté comment ça s’est passé pour eux quand ils sont arrivés en France ?
  • Si, si, ils nous ont dit.
  • Alors vous voyez, c’est pareil aujourd’hui pour ma fille.

J’ai demandé que les trois garnements ne soient pas punis. Pas d’heure de colle ou d’exclusion du collège pour racisme, ça ne voudrait rien dire. Juste qu’ils comprennent. On n’est pas sérieux quand on a 12 ans, on a le droit de se tromper. Et la possibilité de ne pas recommencer.

L’évènement est resté unique, plus de jets de marrons dans la cour de récréation. Mais des incidents fréquents dans ce collège ordinaire, une élève juive évitant de justesse des jets de pierre au moment d’une intifada et des invectives fréquentes entre élèves des deux sexes : Sale noir ! Sale arabe ! Sale indien ! Sale juif ! Surtout dans les petites classes ; les collégiens se heurtant les uns aux autres suivant ce qu’ils croient voir d’eux-mêmes : identités testées, rêvées, inversées. Étrangers ici et français au pays de leurs aïeux.

Équilibre fragile maintenu à grand-peine, à la merci d’une implosion qui ne serait pas seulement un jet de marrons.

4 réponses
  1. Lascar dit :

    Pauvres gamins qui ne font que répéter ce qu’ils entendent sans se rendre compte du mal qu’ils peuvent faire, et pour qui la violence est surtout un moyen de réactiver ce qu’ils ont subi en mode passif. Combien de patience et d’empathie il doit falloir pour modifier les trajectoires !

  2. Marissi Valverde dit :

    Sí, muy delicado este tema y no hemos avanzado tanto en estos 30 años…
    Al contrario, aquí en España, la ultraderecha se ha quitado el velo con el que disimulaba su adicción al franquismo y no hay quien los pare.
    Justo cuando más mezcla de orígenes y culturas hay en nuestro entorno vuelve a resurgir « el enemigo es el diferente ».
    ¿A dónde vamos?
    Trad. (ME) : Oui, le sujet est très délicat et nous n’avons pas avancé tant que cela en 30 ans…
    Au contraire, ici en Espagne, l’extrême-droite affiche franchement son addiction au franquisme et rien ne les arrête.
    Alors que s’entrecroisent de plus en plus origines et cultures autour de nous, ressurgit le refrain : « L’ennemi c’est celui qui est différent ».
    Où allons-nous ?

    • Maryse Esterle dit :

      Sí, es posible que las cosas se hayan agudizado desde aquel momento, en ambos países y en otros también. Se buscan siempre chivos expiatorios, de un lado y de otro y los más frágiles a veces pelean entre sí en lugar de unirse. No sé a dónde vamos, las cosas no son nada sencillas, pero eso sí que el equilibrio de la convivencia es frágil.
      Oui, il est possible que la situation soit plus tendue depuis ce moment-là, dans nos deux pays et dans d’autres aussi. On recherche toujours des boucs émissaires d’un côté comme de l’autre et il arrive que les plus fragiles se battent entre eux au lieu de s’unir. Je ne sais pas où nous allons, les choses ne sont pas simples du tout, mais il est sûr que l’équilibre de la vie en commun est fragile.

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