Une belle journée de printemps dans les années 1990. Épreuve orale de l’examen du diplôme d’éducateur spécialisé. Les jurys sont en binôme, un homme, une femme. Pendant trente minutes, nous interrogeons les candidats. Ils ont préparé un court exposé sur un sujet tiré au sort et nous leur posons quelques questions sur le travail social.
Une jeune femme prend place en face de nous. Elle est merveilleusement belle.
Quand un organe interne au corps disparaît, les autres organes se déploient pour combler le vide et l’organisme se reconstitue autour du manque. Lorsqu’une personne est amputée d’une partie de son corps, elle ressent souvent une douleur à l’emplacement du membre disparu. C’est le symptôme du membre fantôme décrit par Ambroise Paré dès le XVIe siècle. Il disparaît au fur et à mesure de l’évolution de l’image du corps sans la partie manquante, il faut un temps pour s’y habituer.
L’écrivain argentin Tomás Barna, dans une de ses nouvelles, raconte son étonnement quand son ami Alberto lui assure qu’un certain Daniel et lui furent très amis à Buenos Aires au temps de leur jeunesse. Si Tomás se souvient très bien de ses copains d’alors, il ne remet pas du tout Daniel, censé avoir été son alter ego à ce moment-là. Daniel non plus ne voit pas qui pourrait être ce Tomás dont lui parle son ami Alberto.
Il y a longtemps déjà, je faisais mes courses dans une grande surface. Au détour d’une allée, je tombai sur une dame installée derrière un stand de démonstration d’un produit que j’ai oublié aujourd’hui. Des décennies plus tard, je me souviens bien d’elle : petite, menue, les cheveux châtains en carré autour d’un visage aux traits fins animé d’un sourire aimable.
Les petites filles avancent en file vers l’infirmière. Elles ne sont pas rassurées car on leur a dit que la piqûre fait un peu mal, mais c’est pour leur bien. Ce n’est pas leur première expérience de vaccin, elles ont toutes reçu au moins le BCG, qui laisse une petite cicatrice en haut du bras.
Dans les années 50, les mémoires familiales gardaient (ou perdaient) le souvenir de petits fantômes qui ne grandiraient pas, emportés par la coqueluche, la rougeole ou la polio. D’autres souffraient de graves séquelles de cette maladie ou des oreillons. Nombreuses étaient les familles où manquait au moins un enfant à l’appel et dans mon école, nous échangions les mêmes histoires : le départ en voyage ou l’envol vers le ciel d’une sœur ou d’un frère, dans des circonstances obscures. Nous soupçonnions les adultes de ne pas tout nous dire.
Au musée de Saint-Sauveur-en-Puisaye, le beau regard de Colette nous parle depuis la nuit de son temps, comme un passé qui nous questionne : qu’allez-vous faire de cette année qui commence ?
Parfois les mots nous manquent. Restent le regard, les images, les sourires, les saluts, les soupirs, les haussements d’épaule et puis les mots reviennent, précis, discrets, choisis.
Les mots auraient-ils manqué à Colette aussi, ou aurait-elle trouvé quoi dire aujourd’hui, elle qui traversa la grippe espagnole et deux guerres mondiales, mourut à l’orée de celle d’Algérie et passa la fin de sa vie immobilisée chez elle par l’arthrite et l’arthrose ?
Original
Je fais benoîtement mes courses dans mon magasin d’alimentation préféré. À la caisse, le vendeur me demande mes nom et prénom pour alimenter en points mon programme fidélité. À l’énoncé de mon prénom, il s’exclame : Maryse, avec un y, c’est très original ! Il a l’air de trouver ça joli aussi.
Mais vous savez, dans les années 1960, des Maryse on en trouvait à tous les coins de rue, lui dis-je. Et des Béatrice, des Christine, des Martine, des Jacqueline, des Brigitte, des Claire, des Francine, des Marie-Claude… Et, ajouterais-je si le jeune vendeur m’écoutait encore, des Pierre, des Jean, des Alain, des Paul, des Jacques, des Étienne, des François, des Philippe…